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Serge Poisson-de Haro et les enjeux stratégiques des organisations artistiques
Serge Poisson-de Haro est professeur agrĂ©gĂ© au dĂ©partement du management Ă HEC MontrĂ©al.Â
Expertises
Stratégie, capacités dynamiques, gestion des arts, organisation et environnement naturel, gestion des organisations artistiques.
à quel besoin souhaitez-vous répondre avec vos recherches?
Serge Poisson-de Haro : PremiĂšrement, ce qui mâintĂ©resse ce sont les enjeux de gestion et les enjeux stratĂ©giques des organisations artistiques. Je suis professeur de stratĂ©gie et jâĂ©tudie depuis plusieurs annĂ©es les organisations artistiques montrĂ©alaises, telles que le MusĂ©e des beaux-arts de MontrĂ©al, le MusĂ©e dâArt Contemporain, lâOpĂ©ra de MontrĂ©al, lâOrchestre Symphonique de MontrĂ©al, lâOrchestre MĂ©tropolitain, le Festival MontrĂ©al en lumiĂšre et les cirques tels le Cirque Ăloize, le Festival MontrĂ©al ComplĂštement Cirque, etc. En tant que professeur de stratĂ©gie, jâanalyse leurs divers enjeux et je tente dâappliquer des modĂšles dâanalyse stratĂ©gique classique pour conduire des analyses de leurs contextes, interne comme externe. La thĂ©orie des ressources en est un. Ă lâinterne, jâanalyse les ressources et les compĂ©tences dont dispose la compagnie pour Ă©valuer celles qui permettraient de dĂ©velopper un avantage concurrentiel. Ăgalement, le concept de modĂšle dâaffaire, une littĂ©rature stratĂ©gique Ă©mergente depuis plusieurs annĂ©es, permet de dĂ©finir sa proposition de valeur et comment sâorganiser Ă lâinterne pour livrer le service au client cible. Le tout requiert de bien comprendre le positionnement stratĂ©gique dâune organisation au sein de son environnement externe, tant concurrentiel quâau sens plus large. Ce sont tous ces Ă©lĂ©ments que je tente de prendre en considĂ©ration dans une analyse stratĂ©gique.
DeuxiĂšmement, jâaime beaucoup la pĂ©dagogie et les mĂ©thodes expĂ©rientielles pour enseigner la gestion stratĂ©gique. Je favorise mĂ©thode des cas ou encore lâutilisation de simulation informatique rĂ©pliquant les dynamiques concurrentielles au sein dâun secteur donnĂ©. 90% de mon enseignement est expĂ©rientiel. Je fais trĂšs peu de cours magistraux, car je prĂ©fĂšre lorsque lâĂ©tudiant est acteur de la situation et des analyses Ă faire pour trouver les solutions aux enjeux de gestion. Une partie de ma recherche est dâailleurs dĂ©diĂ©e Ă la pĂ©dagogie.
Câest par le biais de la pĂ©dagogie que je me suis penchĂ© sur lâanalyse stratĂ©gique des organisations culturelles. Cela correspondait Ă ma volontĂ© de comprendre les spĂ©cificitĂ©s du tissu culturel Ă MontrĂ©al Ă mon arrivĂ©e dans la mĂ©tropole. Câest la rĂ©daction de cas sur des organisations locales de renom qui mâa menĂ© Ă lancer le projet de recherche : « Les Enjeux de gestion au XXIĂšme siĂšcle ». Cette recherche mâa permis, par exemple, de largement analyser les enjeux de gestion vĂ©cus par le MusĂ©e des beaux-arts de MontrĂ©al. Jâai relevĂ© comment, par un meilleur ancrage local, le musĂ©e a pu rayonner Ă lâinternational. De par ses stratĂ©gies, ses choix de mieux sâancrer localement, de sâappuyer sur des compĂ©tences locales et de crĂ©er des expositions temporaires qui ensuite voyagent Ă travers le monde, le MBAM est devenu le premier musĂ©e au Canada, avec plus dâun million de visiteurs par annĂ©e. Une exposition comme celle de Jean-Paul Gauthier, entiĂšrement crĂ©Ă© au QuĂ©bec avec des compĂ©tences locales, fait actuellement le tour du monde et favorise le rayonnement international du musĂ©e. Câest important localement pour encourager la communautĂ© montrĂ©alaise de soutenir son musĂ©e pour assurer son succĂšs ici et ailleurs.
Finalement, on peut dire que le nerf de la guerre, comme pour toute organisation, câest dâassurer lâĂ©quilibre financier tout en Ă©tant fidĂšle Ă sa mission. Les enjeux des organisations artistiques se situent grandement au niveau du financement. On parle gĂ©nĂ©ralement dâorganisation sans but lucratif. Ces organisations sont davantage financĂ©es par des fonds publics (trois paliers de gouvernement), des donateurs privĂ©s, des commandites mais aussi par la capacitĂ© de lâorganisation Ă gĂ©nĂ©rer des revenus autonomes comme les recettes de billetterie. LâĂ©quilibre financier est certainement un des enjeux majeurs des organisations artistiques et celui-ci passe par la fidĂ©lisation et le renouvellement du public. Lâobjectif est de renouveler lâoffre et ainsi attirer une nouvelle clientĂšle, tout en restant fidĂšle Ă la ligne directrice artistique. Lâoptimisation organisationnelle de chaque dollar dĂ©pensĂ© est centrale. Lâobjectif est dâĂȘtre en mesure de faire plus avec moins. Dans les organisations artistiques, on est loin de la quĂȘte de profit, on aspire avant tout Ă faire vivre la mission artistique. Par ailleurs, il est important de changer la perception commune du grand public, Ă savoir que la culture se doit dâĂȘtre gratuite. Cette perception est grandement alimentĂ©e par les nombreux festivals culturels gratuits, mais cette mĂȘme perception distancie le grand public des enjeux de financements vĂ©cus par les organisations artistiques.
Quels sont les défis dans votre champ de recherche?
Serge Poisson-de Haro : Le dĂ©fi est dâinnover et dâĂȘtre ancrĂ© dans les dĂ©fis quotidiens de ces organisations. Comment les outils dĂ©veloppĂ©s dans le milieu des affaires peuvent-ils ĂȘtre pertinents au secteur des arts, comment adapter lâexistant? Lâenjeu est aussi de trouver quelque chose de nouveau en termes de gestion, qui serait issu de la complexitĂ© du secteur des arts. On pourrait exporter certaines pratiques vers le monde de lâentreprise, pour que celui-ci puisse apprendre du secteur des arts. Le dĂ©fi est de faire une sorte de boucle entre les deux. Comme lâĂ©quation financiĂšre des organisations artistiques est particuliĂšre, elle implique une gestion plus complexe avec les parties prenantes. Ces organisations doivent aller chercher des dons, des subventions gouvernementales et gĂ©rer les attentes dâun plus grand nombre de parties prenantes, comparativement Ă la plupart des entreprises qui se soucient prioritairement des attentes des clients et des actionnaires. Les entreprises peuvent apprendre Ă mieux sâintĂ©grer dans leurs communautĂ©s en observant ce que font les organisations artistiques. La polyvalence, la capacitĂ© Ă faire plus avec moins et cette gestion complexe des parties prenantes sont les connaissances clĂ©s en gestion des organisations artistiques. Et elles sont valides pour des organisations autres quâartistiques.
Je me dis souvent que ce qui diffĂ©rencie probablement le secteur des arts du monde de lâentreprise, câest quâil donne avant tout des Ă©motions. Beaucoup dâentreprises ont du mal Ă trouver le sens de lâĂ©motion spontanĂ©e. Je crois que les rĂȘves vĂ©hiculĂ©s par lâart sont ce qui nous rend humains. Ce sont ces souvenirs qui nous restent et nous rendent heureux, beaucoup plus que nos possessions matĂ©rielles qui se pĂ©riment par obsolescence programmĂ©e. Je crois quâil est important que ces organisations qui donnent des Ă©motions restent pĂ©rennes, car elles crĂ©ent des instants de vie dont on se souvient longtemps. Elles permettent mĂȘme parfois de transcender le quotidien.
Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ© Ă ce sujet?
Serge Poisson-de Haro : LâintĂ©gration du dĂ©veloppement durable comme source dâavantage concurrentiel pour les compagnies fut ma thĂšse universitaire. Câest un peu une thĂšse pour « sauver le monde ou rendre le monde meilleur » en voulant encourager les entreprises Ă contribuer au systĂšme Ă©conomique tout en ayant un impact social et environnemental positif. Câest ce cĂŽtĂ© un peu idĂ©aliste que jâai, mais aussi par intĂ©rĂȘt personnel que je me suis tournĂ© vers le milieu artistique. Un monde sans artistes serait triste, mais ceux-ci ont gĂ©nĂ©ralement besoin de renforcer leurs compĂ©tences de gestion. Câest cet aspect qui a en quelque sorte dĂ©marrĂ© mon intĂ©rĂȘt pour les organisations artistiques. Ătant un Canadien adoptif (dâorigine française), cette passion pour les arts, mon penchant pour la stratĂ©gie en gĂ©nĂ©ral et pour les stratĂ©gies des organisations artistiques en particulier mâont, en quelque sorte, permis dâapprendre et de mieux mâintĂ©grer Ă lâĂ©cosystĂšme montrĂ©alais, notamment culturel.
Que diriez-vous Ă quelquâun qui dĂ©bute dans votre domaine?
Serge Poisson-de Haro : Il est important dâĂ©couter les praticiens et de comprendre leurs difficultĂ©s quotidiennes. Il faut se mettre au service de leurs problĂšmes trĂšs concrets avec une rationalitĂ© et une rigueur acadĂ©mique, pour tenter de trouver une interprĂ©tation possible Ă ce qui se passe et Ă©ventuellement trouver des solutions. Il faut dĂ©marrer sur le terrain, connaitre les thĂ©ories et quâelles soient au service de lâexplication du sujet observĂ©. Câest grĂące au lien entre ces thĂ©ories acadĂ©miques et les situations concrĂštes quâĂ©mergent souvent des solutions durables. Il est important de rester collĂ© Ă la rĂ©alitĂ© tout en prenant du recul pour lâanalyse. Câest en faisant des ponts entre lâobservation et la thĂ©orie quâon peut crĂ©er de nouvelles thĂ©ories et de nouvelles solutions.
Serge Poisson-de Haro chez eValorix
Texte par Fanny Vadnais
Propos recueillis par FĂ©lix Vaillancourt