Eric Brunelle et la gestion de la distance en milieu professionnel

Eric Brunelle est professeur agrĂ©gĂ© au service de l’enseignement du management Ă  HEC MontrĂ©al.Éric Brunelle

Expertises

Leadership et habiletés de direction, e-leadership et direction de personnes à distance

La mission d’eValorix est de diffuser les outils numĂ©riques issus de la recherche publique. Cette entrevue fait partie de la sĂ©rie d’entrevues avec les femmes et les hommes derriĂšre cette recherche.

eValorix : À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec votre recherche ?

Eric Brunelle : J’essaie avec mes recherches d’aider les gestionnaires qui gĂšrent des personnes au travers des technologies Ă  trouver des moyens efficaces d’y parvenir. Au Canada, il y a environ 40% des travailleurs en entreprise qui passent au moins une journĂ©e par semaine Ă  l’extĂ©rieur des bureaux conventionnels de leur compagnie, en dĂ©placement ou en tĂ©lĂ©travail. Cette modification des comportements professionnels amĂšne certains gestionnaires Ă  ĂȘtre contraint Ă  gĂ©rer des gens qu’ils ne voient pas rĂ©guliĂšrement et avec lesquelles ils doivent apprendre Ă  communiquer et interagir diffĂ©remment. Certains contacts entre deux personnes d’une mĂȘme entreprise se font majoritairement par tĂ©lĂ©phone, par texto ou bien par courriel. Cela remet profondĂ©ment en question la maniĂšre d’exercer son leadership au sein d’une Ă©quipe. Le temps des rencontres physiques et souvent informelles au cours desquelles on recherche une information et on influence les jeunes est en train de disparaitre. Au final, le but ultime de mes recherches est de trouver des moyens d’établir des relations fortes et durables et d’exercer convenablement son leadership dans ce contexte spĂ©cial. Comment on peut rĂ©ussir Ă  ĂȘtre un bon gestionnaire malgrĂ© la distance ? Mes recherches ont pour objectif d’assister les gestionnaires dans leurs recherches de performance, et d’aider les entreprises Ă  mettre en place des pratiques pour mieux supporter ce changement.

eValorix : Quels sont les défis dans votre champ de recherche ?

Eric Brunelle : Les organisations avec lesquelles je travaille sont toutes diffĂ©rentes, et il faut s’adapter. Par exemple, dans le rĂ©seau de la santĂ©, il y a eu rĂ©cemment une nouvelle loi. Depuis cette derniĂšre, les patrons ne sont plus tous regroupĂ©s au mĂȘme endroit, mais sont dispersĂ©s partout. Cela a donnĂ© lieu Ă  une organisation nouvelle que l’on appelle la gestion multiple. Celle-ci a des enjeux qui lui sont propres et qui nĂ©cessitent de s’adapter aux diffĂ©rents emplacements gĂ©ographiques. La distance est bien prĂ©sente, et mĂšne Ă  une utilisation intensive des technologies. Pourtant quand je m’adresse aux personnes qui se trouvent dans ce type de contextes, ils ne comprennent pas toujours que cette distance doit ĂȘtre gĂ©rĂ©e. Ils ont l’impression que la distance c’est seulement pour ceux qui font du tĂ©lĂ©travail et que ça ne les concerne pas vraiment. C’est lĂ  un de mes grands dĂ©fis.

Ensuite, en termes de recherches, le dĂ©fi est que le niveau des connaissances actuelles sur la notion de distance n’est pas trĂšs avancĂ©. Il y a souvent de la confusion quant Ă  ce qui est rĂ©ellement en cause. Par exemple, la notion de distance est un concept qui possĂšde plusieurs dimensions. Par exemple, il y a la distance physique, celle qui correspond Ă  l’éloignement gĂ©ographique, comme deux personnes dans deux villes diffĂ©rentes. Il y a Ă©galement la distance psychologique, celle qui nous habite, qui est perçu et vit dans notre imaginaire. Combien de fois s’est-on dĂ©jĂ  dit que l’on se sent trĂšs proche de quelqu’un qui est Ă  l’autre bout du monde, mais Ă©loignĂ© de son voisin de bureau que l’on ne connait pas tant que ça ? Il y a quelque chose de trĂšs intangible lĂ -dedans. L’impact de la distance physique est souvent trĂšs diffĂ©rent que celle de la distance psychologique. C’est un grand dĂ©fi de comprendre la part de l’un et de l’autre. Mais tranquillement, on y arrive !

eValorix : Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ©e Ă  ce sujet ?

Eric Brunelle : Je faisais des recherches sur ce sujet-lĂ  dĂ©jĂ  en 1997 ; cela fait donc 20 ans que je travaille lĂ -dessus. Mon premier article a Ă©tĂ© publiĂ© aux alentours de l’annĂ©e 2001. A l’origine j’étais un entrepreneur. C’était le temps de la montĂ©e d’Internet, tout le monde parlait du bug de l’an 2000. Moi, je m’intĂ©ressais dĂ©jĂ  aux enjeux majeurs d’Internet. J’étais Ă  mon compte et les clients que j’avais ne connaissaient pas trĂšs bien les implications et les possibilitĂ©s qu’offrait la toile. Ce n’était pas encore ancrĂ© dans les mentalitĂ©s. J’ai dĂ©tectĂ© Ă  ce moment-lĂ  une rĂ©elle opportunitĂ© d’affaire. Je me suis dit que d’ici quelques temps, les entreprises auraient besoin de mon aide pour les orienter sur la maniĂšre d’utiliser internet, autant dans leur mode d’organisation du travail que dans leur stratĂ©gie d’affaires. Je pensais dĂ©jĂ  aux enjeux tels que le travail Ă  domicile. Je me suis mis Ă  m’intĂ©resser Ă  ça comme consultant, et de fil en aiguille, j’ai rĂ©alisĂ© que tout cela allait bouleverser de maniĂšre majeure les organisations. L’élĂ©ment dĂ©clencheur s’est fait lĂ . En m’intĂ©ressant Ă  cette affaire-lĂ  je me suis rendu compte qu’il y avait vraiment un besoin. J’ai par la suite commencĂ© Ă  faire quelques recherches sur le sujet. À l’époque on Ă©tait peut-ĂȘtre trois ou quatre dans le monde Ă  vĂ©ritablement travailler sur ce sujet. Aujourd’hui on est pas mal plus que ça.

eValorix : Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Eric Brunelle : Le plus important, c’est surtout de s’ancrer dans une rĂ©alitĂ© concrĂšte. Personnellement, je m’intĂ©resse au concept de distance, mais je fais toutes mes recherches actuelles dans un contexte bien prĂ©cis. Quand j’écris en limitant le discours Ă  la gestion de la distance ou dans un contexte de gestion multiple (gĂ©rer les employĂ©s Ă  domicile, tout ce qui concerne la gestion Ă  distance), c’est souvent difficile pour les lecteurs Ă  concevoir, Ă  comprendre. Il est donc important de s’assurer d’ĂȘtre concret dans les dĂ©marches de recherche. Par exemple, si je fais une recherche sur l’impact de la distance pour les travailleurs Ă  domicile, ne vais pas aborder la notion de travailleurs mobiles, mĂȘme s’il est possible de faire de nombreux liens, cela gĂ©nĂšre souvent de la confusion pour les lecteurs. Je donnerais aussi le conseil de trouver des applications pratiques. Dans un domaine aussi conceptuel, il est grandement recommandĂ© de fixer les choses au travers de bonnes pratiques, de bonnes stratĂ©gies, de bons moyens de faire et que les gestionnaires peuvent mettre en place.

Eric Brunelle chez eValorix

Texte par Camille Briquet
Propos recueillis par Camille Briquet

Le soutien aux victimes d’agressions sexuelles : entrevue avec Mireille Cyr

Le soutien aux victimes d’agressions sexuelles : entrevue avec Mireille CyrMireille Cyr est professeure titulaire au dĂ©partement de psychologie de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al. Elle est Ă©galement directrice scientifique au Centre de recherche interdisciplinaire sur les problĂšmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et co-titulaire de la Chaire de recherche Marie-Vincent sur les enfants victimes d’agression sexuelles.

Expertises

Agression sexuelle envers les enfants, Soutien parental, Entrevue d’enquĂȘte, Profils d’adaptation

eValorix : À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec votre recherche ?

Mireille Cyr : J’essaie de rĂ©pondre aux besoins des victimes d’agressions sexuelles. Mes recherches visent principalement Ă  aider les victimes Ă  deux niveaux. Le premier soutien se fait au niveau de l’assistance dont elles pourraient avoir besoin, notamment de la part de leurs parents non agresseurs, pour composer avec les sĂ©quelles de leur agression. Mon second rĂŽle est plutĂŽt situĂ© au niveau de l’entrevue d’enquĂȘte rĂ©alisĂ©e par les policiers avec les enfants : notre but est d’aider les policiers Ă  dĂ©tenir de meilleurs outils pour mener du mieux possible ces entrevues. Je travaille principalement auprĂšs d’enfants et d’adolescents. Il est certain que l’on est confrontĂ© Ă  la souffrance des parents, Ă  l’impact et au choc du dĂ©voilement de l’agression de leur enfant. C’est un domaine de recherche qui peut paraitre difficile au premier abord, de par le contenu de ce que les enfants rĂ©vĂšlent, ou de par la souffrance des parents. Cependant, cela n’en est pas moins un domaine motivant par la recherche. Cette derniĂšre contribue Ă  amĂ©liorer de maniĂšre significative le vĂ©cu des parents et donc celui des enfants. Il en est de mĂȘme pour les policiers : nos recherches les aident Ă  faire de meilleures entrevues, ce qui aide les enfants Ă  se sentir mieux compris, plus Ă©coutĂ©s. Mes recherches ne concernent pas directement les traitements auprĂšs des enfants, mais nous savons que le quotidien de ces jeunes est tout de mĂȘme amĂ©liorĂ© grĂące Ă  notre activitĂ©. Par le biais des parents et des policiers, on les aide Ă  bĂ©nĂ©ficier d’une aide qui va leur permettre de surmonter le traumatisme qu’ils sont en train de vivre. Cela compense peut-ĂȘtre la difficultĂ© de la thĂ©matique des rĂ©vĂ©lations auxquelles nous avons accĂšs. Nous savons que la recherche peut faire une diffĂ©rence sur les pratiques et sur la vie des personnes concernĂ©es.

eValorix : Quels sont les défis dans votre champ de recherche ?

Mireille Cyr : Il y a deux principaux dĂ©fis. Le premier, c’est de travailler au quotidien avec des professionnels en indirect. Ces gens-lĂ  sont pris dans leur travail quotidien, ils sont trĂšs occupĂ©s, que ce soit les psychologues, les travailleurs sociaux, ou mĂȘme les policiers. Mon accĂšs aux participants pour les projets de recherche se fait grĂące Ă  ces personnes-lĂ , et grĂące aux contacts de confiance et relations de recherches dĂ©veloppĂ©es avec eux. Cela implique donc qu’ils arrivent Ă  trouver du temps dans leur horaire et dans leur organisation de façon Ă  pouvoir nous aider Ă  avoir accĂšs Ă  notre clientĂšle. De plus, les gens lorsque nous les rencontrons sont encore parfois en situation de crise, dans une Ă©tape trĂšs difficile de leur vie. Solliciter ces gens-lĂ  n’est donc pas Ă©vident, et ce surtout lorsque les intermĂ©diaires eux-mĂȘmes sont souvent dĂ©bordĂ©s et changent de fonction aprĂšs quelques annĂ©es, les liens sont donc Ă  refaire. Le second dĂ©fi se situe plutĂŽt au niveau des participants. Nous devons aborder nos questions de recherche sans causer plus de dommages sur le vĂ©cu des victimes et de leur entourage. Notre rĂŽle est de s’assurer que les interventions et les questions que l’on Ă©labore vont ĂȘtre mises en place dans un climat de soutien et que cela ne viendra pas ajouter un fardeau supplĂ©mentaire ou crĂ©er des difficultĂ©s dans un pĂ©riode de crise majeure pour les victimes.

eValorix : Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ©e Ă  ce sujet ?

Mireille Cyr : Le dĂ©clic s’est fait Ă  travers mon travail de professeur d’universitĂ©. Je prĂ©parais des Ă©tudiants Ă  la maitrise en psychologie, ils apprenaient la psychothĂ©rapie. J’ai alors Ă©tĂ© frappĂ©e par le nombre de femmes ou de jeunes femmes qui nous rĂ©vĂ©laient avoir Ă©tĂ© agressĂ©es, souvent par des proches, et qui venaient consulter Ă  cause des sĂ©quelles de ces agressions. C’est vraiment aprĂšs cela que je me suis mise Ă  m’intĂ©resser Ă  la question des agressions sexuelles et je me suis joint Ă  une groupe de recherche qui travaillait en partenariat avec des intervenants des centres jeunesse qui avaient besoin d’assistance pour rĂ©aliser leur mission « sur le terrain ». C’est comme cela que j’ai commencĂ© Ă  regarder les sĂ©quelles chez les enfants et les adolescents. Je me suis Ă©galement intĂ©ressĂ©e au soutien maternel : comment peut-on aider au mieux les mĂšres (et mĂȘme les pĂšres) Ă  soutenir leur enfant ? La question « Comment faire de bonnes entrevues » est venue du questionnement des intervenants avec qui on travaillait, et s’est Ă©tendue aux policiers qui font aussi des entrevues auprĂšs des enfants. Les interrogations sont venues du terrain, de la pratique de ces personnes, des gens avec qui je collabore.

eValorix : Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Mireille Cyr : Je lui dirais que mĂȘme s’il y a eu beaucoup de progrĂšs dans les connaissances et l’intervention concernant les agressions sexuelles, on se rend bien compte quand on regarde l’actualitĂ© que cette question-lĂ  demeure malheureusement une problĂ©matique sociale importante. Les victimes, peu importe leur Ăąge, ont de la difficultĂ© Ă  rĂ©vĂ©ler ce qui s’est passĂ©. Quand arrivent des Ă©vĂšnements comme l’histoire de Gilbert Rozon rĂ©cemment, on se rend compte que le dĂ©voilement n’est toujours pas facile et met parfois longtemps Ă  avoir lieu. Il y a encore des besoins, entre autres pour faciliter cette Ă©tape difficile de la rĂ©vĂ©lation. Il y a des pĂ©riodes de crise pendant lesquelles la mĂ©diatisation va en aider certains, mais aprĂšs, cela retombe. Pour quelqu’un qui dĂ©bute dans le domaine il y a beaucoup de questions primordiales auxquelles on n’a pas encore rĂ©pondu : comment faciliter ce dĂ©voilement-lĂ , comment faire de la prĂ©vention, comment diminuer le harcĂšlement sexuel, comment rendre les relations de couple plus respectueuses et Ă©galitaires
 Il y a encore du travail sur de nombreux points clĂ©s. Les choses avancent, mais avant que les mentalitĂ©s changent de façon durable, il y a encore du chemin Ă  faire.

Texte par Camille Briquet
Propos recueillis par Camille Briquet

Vieillissement Ă  domicile et intelligence artificielle : entrevue avec Bruno Bouchard

Vieillissement Ă  domicile et intelligence artificielle : entrevue avec Bruno Bouchard

Bruno Bouchard est professeur et chercheur au sein du dĂ©partement d’informatique et de mathĂ©matique de l’UniversitĂ© du QuĂ©bec À Chicoutimi. Il est Ă©galement associĂ© au laboratoire LIARA, qu’il a cofondĂ© en 2008.

Expertises

Intelligence artificielle, technologies d’assistance, technologies de la santĂ©.

À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec votre recherche ?

Bruno Bouchard : Actuellement, au QuĂ©bec comme ailleurs, le monde fait face Ă  une crise dĂ©mographique sans prĂ©cĂ©dent ainsi qu’à un vieillissement accĂ©lĂ©rĂ© de la population. Cette rĂ©alitĂ©-lĂ  est aggravĂ©e par un problĂšme de pĂ©nurie de personnel qualifiĂ©, mais surtout un manque de ressources pour engager cedit personnel, notamment pour les soins Ă  domicile dĂ©diĂ©s aux personnes en perte d’autonomie. Je parle par exemple ici des personnes ĂągĂ©es, des gens qui souffrent d’Alzheimer, de dĂ©ficiences cognitives lĂ©gĂšres, mais aussi des personnes plus jeunes comme celles qui souffrent de traumatismes crĂąniens ou de dĂ©ficiences intellectuelles. Les gouvernements souhaitent, pour des raisons Ă©conomiques et sociales, maintenir ces personnes-lĂ  Ă  domicile le plus possible. Il est vrai que cette pratique est souhaitable : cela amĂ©liore la qualitĂ© de vie des personnes qui peuvent vivre aussi normalement que possible et avoir une existence digne, sans sĂ©grĂ©gation des hĂŽpitaux. Le problĂšme que l’on rencontre aujourd’hui, c’est que ce maintien Ă  domicile comporte des risques et des problĂ©matiques importantes. C’est ici que nous avons un rĂŽle Ă  jouer en tant que chercheurs. Les environnements physiques et humains des rĂ©sidents, les appartements, les lieux, tout cela doit ĂȘtre adaptĂ© voir augmentĂ© grĂące Ă  la technologie. Cela permet de rĂ©pondre aux besoins des personnes, pallier Ă  leurs incapacitĂ©s cognitives et physiques et assurer leur sĂ©curitĂ©. Cela met Ă©galement Ă  disposition des outils informatiques qui permettent de supporter les proches aidants et les professionnels de la santĂ© pour qu’ils puissent faire un meilleur travail : supporter un plus grand nombre de patients, faire une partie de leur travail Ă  distance
 Nos recherches s’inscrivent donc dans le concept d’habitat intelligent. Nous sommes Ă  la frontiĂšre entre intelligence artificielle ambiante et santĂ© : en tant que spĂ©cialistes en intelligence artificielle, on applique notre technique dans le domaine de la santĂ©. Nous utilisons de nombreux dispositifs Ă©lectroniques. Par exemple, nous travaillons avec une grande panoplie de capteurs que l’on intĂšgre un peu partout dans les objets du quotidien : les portes d’armoire, les cuisiniĂšres, les lampes
 On utilise Ă©galement des capteurs biomĂ©triques, lorsque l’on souhaite par exemple Ă©quiper la personne d’une montre intelligente. Nous pouvons Ă©galement avoir besoin de capteurs de luminositĂ©, de capteurs ultrasons ou infrarouges. Le but est de les intĂ©grer dans l’appartement de la maniĂšre la plus transparente possible et de comprendre ce que la personne est en train de faire. Ainsi, nous pouvons dĂ©tecter les situations Ă  risques, ou celles oĂč la personne aura besoin d’assistance, et l’aider. Prenez cet exemple : une personne qui souffre de dĂ©ficience cognitive dĂ©marre la cuisiniĂšre pour faire Ă  manger. Elle fait bouillir quelque chose et soudainement, le tĂ©lĂ©phone sonne. Elle va aller rĂ©pondre au tĂ©lĂ©phone, il va y avoir une potentielle surcharge cognitive et elle va oublier qu’elle est en train de faire la cuisine. Elle va ensuite aller lire un livre dans sa chambre. C’est typiquement ce genre de situation qu’on veut ĂȘtre apte Ă  dĂ©tecter et Ă  corriger. Attention : nous ne sommes pas dans une approche d’automatisation ! MĂȘme s’il est possible de prendre le contrĂŽle de la cuisiniĂšre et de la couper, ce n’est pas ce qu’on va faire en premier lieu. Nous allons tenter de ramener la personne Ă  son activitĂ©. Par exemple, nous pouvons faire flasher les lumiĂšres de sa maison pour faire un chemin qui la ramĂšnera dans la cuisine, et une fois dans la cuisine, prendre le contrĂŽle de l’iPad qui est sur le rĂ©frigĂ©rateur pour lui envoyer une vidĂ©o qui lui indiquera de fermer son poĂȘle. Notre but, c’est l’autonomisation. On souhaite que la personne rĂ©ussisse Ă  corriger ses erreurs par elle-mĂȘme, mais Ă©videmment, s’il y a un danger immĂ©diat, on va intervenir plus directement.

Quels sont les défis dans votre champ de recherche ?

Bruno Bouchard : La technologie pour faire tout ce que l’on souhaite faire existe dĂ©jĂ . Les capteurs dont on a besoin pour aller chercher l’information existent, les effecteurs qui nous servent Ă  guider la personne lorsque l’on veut l’aider Ă  faire quelque chose existent Ă©galement. On se sert d’écrans sur lesquels envoyer des images, de haut-parleurs, de lumiĂšres pour pointer et flasher, de bras robotisĂ©s, tout cela existe. Notre principal verrou scientifique, c’est d’ĂȘtre capable de rĂ©unir les informations et de crĂ©er une intelligence artificielle qui sera capable d’exploiter toute cette masse de donnĂ©es lĂ  pour ĂȘtre capable de synthĂ©tiser une solution. Le dĂ©fi majeur est bien lĂ  : comment partir des milliers de donnĂ©es brutes provenant des capteurs (mouvement d’un objet, baisse de luminositĂ©) pour ĂȘtre capables de sĂ©lectionner les donnĂ©es pertinentes ? Comment les traiter intelligemment pour ĂȘtre capable de comprendre quelle est l’action en cours, la prĂ©sence ou non de danger ou d’erreur cognitive ? Notre objectif est d’ĂȘtre capables de nettoyer et sĂ©lectionner les donnĂ©es pour comprendre le sens des activitĂ©s de la personne. Le premier challenge scientifique rencontrĂ© au laboratoire concerne les modĂšles d’intelligence artificielle pour la reconnaissance d’activitĂ©s en temps rĂ©el. Le deuxiĂšme grand problĂšme, c’est l’apprentissage machine : comment passer d’un historique de donnĂ©es Ă  des dĂ©ductions de comportements ou de tendances pour savoir ce qui est normal et ce qui ne l’est pas ? Comment peut-on apprendre les routines et les habitudes de vie des personnes automatiquement Ă  partir d’apprentissage machine pour mieux pouvoir les assister ? TroisiĂšmement, il faut ĂȘtre capable de construire une solution d’assistance en temps rĂ©el. Si je sais que la personne est en train de faire telle activitĂ© Ă  tel endroit, il faut que je construise rapidement une solution d’assistance qui est adaptĂ©e Ă  cette erreur-lĂ  pour l’aider. Ici encore, c’est un algorithme d’intelligence artificielle qui va analyser les appareils disponibles dans la piĂšce pour lui envoyer des indices afin de lui dire oĂč aller et quoi faire. Il faut analyser les modalitĂ©s disponibles ainsi que les diffĂ©rentes options pour construire dynamiquement une solution d’urgence.

Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ© Ă  ce sujet ?

Bruno Bouchard : Cela s’est fait plutĂŽt naturellement. J’ai fait une maitrise Ă  l’UQAM en informatique en intelligence artificielle, mais plus axĂ©e sur le commerce Ă©lectronique. Lorsque j’ai dĂ©butĂ© mes Ă©tudes doctorales Ă  l’universitĂ© de Sherbrooke, j’ai dĂ©couvert un nouveau laboratoire qui venait tout juste d’ĂȘtre construit, le laboratoire Domus. Ce dernier se voulait multidisciplinaire, avec un programme qui portait sur la domotique dans les rĂ©sidences. La recherche tournait autour de la disposition de capteurs et d’effecteurs dans les rĂ©sidences, leur exploitation, et les diffĂ©rentes applications. La santĂ© Ă©tait une application parmi les autres, au dĂ©part d’importance rĂ©duite, mais vouĂ©e Ă  une croissance fulgurante au fil du temps. Quand je suis arrivĂ© lĂ , de me dĂ©gager un projet en adĂ©quation avec mon expertise en intelligence artificielle et avec le domaine du laboratoire. J’ai tout de suite pensĂ© au maintien Ă  domicile, et j’ai donc fait de nombreuses recherches sur le sujet. À ma connaissance, cette initiative Ă©tait parmi les premiĂšres dans le domaine au QuĂ©bec. J’ai regardĂ© comment je pouvais exploiter mes connaissances en intelligence artificielle pour les utiliser pour la reconnaissance d’activitĂ©s de personnes souffrant d’Alzheimer, et j’en ai fait mon sujet de thĂšse. Les recherches que j’ai faites ont Ă©tĂ© l’embryon du programme de recherche plus large de l’équipe du laboratoire. Par la suite, j’ai effectuĂ© un stage post doctoral Ă  l’universitĂ© de Toronto en technologies d’assistance. Quand j’ai eu mon poste Ă  l’UQAC, il n’y avait rien dans ce domaine-ci. Avec l’expĂ©rience que j’avais, j’ai proposĂ© Ă  la direction de fonder ici, un laboratoire dĂ©diĂ© sur la recherche dans le crĂ©neau de l’intelligence ambiante pour le domaine de la santĂ©. Cela a Ă©tĂ© acceptĂ©. J’ai donc dĂ©marrĂ© un nouveau laboratoire avec mon collĂšgue Abdenour Bouzouane il y a environ une dizaine d’annĂ©es.

Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Bruno Bouchard : Je lui dirais tout d’abord que c’est un domaine trĂšs captivant et en plein essor. Les perspectives au niveau de l’emploi, de la recherche et du dĂ©veloppement sont phĂ©nomĂ©nales. Il y a un nombre incroyable d’entreprises qui dĂ©marrent dans le domaine des technologies de la santĂ©. Le marchĂ© des technologies est en pleine augmentation un peu partout dans les pays occidentaux. L’intelligence artificielle fait des bonds de gĂ©ants et est de nos jours trĂšs tendance, beaucoup d’entreprises prennent le virage. L’expertise que l’on vient chercher dans ce domaine-lĂ , c’est de l’expertise que l’on peut rĂ©utiliser vraiment partout : reconnaitre des activitĂ©s humaines dans un appartement ou reconnaitre d’autres activitĂ©s, cela ne fait pas grande diffĂ©rence. En parallĂšle, les technologies dans le domaine de la santĂ© sont en pleine expansion aussi. D’un cĂŽtĂ©, il y a l’essor de l’intelligence artificielle, mais il y a aussi de plus en plus d’argent investi dans les technologies de la santĂ© pour trouver des solutions technologiques aux problĂšmes de vieillissement de la population. Travailler Ă  la frontiĂšre entre ces deux domaines d’avenir est donc vraiment captivant ! De plus, les produits que l’on dĂ©veloppe apportent une solution concrĂšte aux gens : leur satisfaction est motivante, tout autant que le fait de voir le fruit de nos recherches sous une forme physique. Par exemple, nous avons conçu une cuisiniĂšre intelligente pour les personnes atteintes d’Alzheimer : c’était un aboutissement trĂšs gratifiant !

Texte par Camille Briquet
Propos recueillis par Camille Briquet

Le regroupement Abitibi Ouest, au service des proches aidants

Voici notre quatriĂšme entrevue de la sĂ©rie d’articles dressant le portrait d’organisations qui Ɠuvrent Ă  mieux accompagner les proches aidants (relire la troisiĂšme entrevue). Notre Ă©quipe a eu le plaisir d’échanger avec le regroupement des proches aidants Abitibi-Ouest, afin d’en apprendre un peu plus sur leurs activitĂ©s et les diffĂ©rents dĂ©fis qu’ils rencontrent au quotidien. Venez dĂ©couvrir leur tĂ©moignage et vous plonger dans leur quotidien !

AmĂ©liorer le quotidien des proches aidants de la rĂ©gion d’Abitibi

Le regroupement des proches aidants d’Abitibi-Ouest a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 2010 avec un but prĂ©cis : accompagner les proches aidants tout au long de leur parcours en amĂ©liorant leur qualitĂ© de vie. Quel que soit le type d’incapacitĂ© de la personne aidĂ©e, l’organisme vient en aide Ă  ses proches afin de les aider Ă  trouver un Ă©quilibre de vie satisfaisant. Les intervenants n’ont pas peur de se dĂ©placer, et offrent leur service dans tout le secteur d’Abitibi-Ouest : peu importe s’il faut faire de la route ! Les diffĂ©rentes activitĂ©s de l’organisme ainsi vĂ©hiculĂ©es Ă  travers la rĂ©gion permettent ainsi de briser l’isolement des proches aidants et de leur apporter le soutien dont ils ont besoin.

« Les gens sont nombreux Ă  vivre avec la maladie, voilĂ  pourquoi on offre des ateliers, des confĂ©rences, des interventions individuelles ou de groupe. Tout cela, c’est pour permettre aux proches aidants de bĂ©nĂ©ficier d’une assistance afin d’éviter l’épuisement. Lors des rencontres, on va parler de diffĂ©rents sujets, cela permet Ă©galement de briser l’isolement. Souvent, les aidants restent Ă  la maison, ça leur prend beaucoup de temps, ils ne sortent donc pas beaucoup, ils ne voient quasiment personne, donc nos interventions permettent aussi de briser l’isolement. »

Des activités adaptées pour une assistance toujours plus personnalisée

Le regroupement offre de nombreuses activitĂ©s de groupe basĂ©es sur le soutien, l’entraide et le partage. Les activitĂ©s traitent de diffĂ©rents sujets : parmi les principaux, on compte le respect de ses limites personnelles, la gestion du stress, l’anxiĂ©tĂ© au quotidien, ou encore l’évitement de l’épuisement. Les intervenants informent les proches aidants sur les ressources Ă  leur disposition, leur donnent des pistes pour mieux communiquer avec leur aidĂ©, et les rassurent Ă©galement sur leur potentiel sentiment de culpabilitĂ©. Certains ateliers informatifs sont aussi mis en place, avec pour but de prĂ©senter une maladie particuliĂšre, ou mĂȘme l’organisme en tant que tel. Des interventions plus personnelles peuvent Ă©galement avoir lieu de maniĂšre physique (Ă  domicile et au travail) comme tĂ©lĂ©phonique. Enfin, l’organisme collabore Ă©galement avec un autre organisme, la Maison Saint-AndrĂ©, afin de proposer un service de rĂ©pit accompagnement. Ainsi, un intervenant peut venir prendre le relai dans l’assistance du malade durant 3 heures par semaine, tandis que le proche aidant peut alors prendre du temps pour lui.

« Toutes nos interventions, qu’elles soient sous forme individuelle, collective, ou mĂȘme sous forme d’atelier, sont ouvertes Ă  tous. Elles sont faites pour que les proches aidants trouvent leurs limites et se sentent accompagnĂ©s dans leurs dĂ©marches. Les interventions de groupe, c’est un peu comme un groupe de soutien, c’est ouvert au dialogue, les gens sont Ă  l’aise. On se rencontre 5 fois par annĂ©e, et les interventions sont gratuites. »

Un défi de visibilité et un financement parfois limité

En tant qu’organisme communautaire, le regroupement des proches aidants d’Abitibi-Ouest a toujours Ă©tĂ© confrontĂ© Ă  un dĂ©fi majeur : la recherche de financement. À chaque nouveau projet d’atelier ou d’activitĂ©, le besoin d’argent se fait ressentir : une rĂ©alitĂ© Ă  laquelle il peut parfois ĂȘtre pĂ©nible de faire face. De plus, une autre difficultĂ© se prĂ©sente lorsqu’il s’agit de rejoindre les diffĂ©rents proches aidants. En effet, en Abitibi, les municipalitĂ©s sont Ă©loignĂ©es les unes des autres, ce qui rend difficile le fait de se faire connaĂźtre et de se montrer accessible. Alors, l’organisme vise sur une visibilitĂ© maximisĂ©e : publication de ses activitĂ©s dans le journal, sur les panneaux Ă©lectroniques des villes, envoie de publicitĂ© partout oĂč cela est possible
 le regroupement envoie Ă©galement les actualitĂ©s sur ses activitĂ©s Ă  venir Ă  ses 56 membres afin que ces derniers ne manquent rien des interventions futures.

« On se sert de notre Ă©quipe de membres, on fait le plus possible de publicitĂ© pour notre organisme afin d’avoir de la visibilitĂ©. En plus de cela, on essaie de participer Ă  diffĂ©rents colloques et salons pour se faire connaĂźtre. On va reprĂ©senter notre organisme avec nos kiosques dĂšs qu’on en a la possibilitĂ©. On monte des kiosques d’information, on parle avec les visiteurs, on essaie de participer le plus possible aux activitĂ©s du milieu mĂ©dical et des proches aidants. Nous travaillons en partenariat avec le CISSSAT, le GMF et autres organismes communautaires.»

Des outils participatifs pour laisser les proches aidants s’exprimer

Afin de donner une ligne directrice Ă  ses diffĂ©rents ateliers, le regroupement Abitibi-Ouest a fait l’acquisition de deux des outils dĂ©veloppĂ©s par la Chaire de recherche en soins infirmiers : ESPA et « Devenir aidant, ça s’apprend ». Si l’acquisition d’ESPA est rĂ©cente et que l’outil n’a pas encore eu le temps d’ĂȘtre totalement exploitĂ©, « Devenir aidant » a quant Ă  lui fait ses preuves. Les intervenants apprĂ©cient sa forme d’atelier, adaptĂ©e aux formats d’interventions proposĂ©s par le regroupement, ainsi que la clartĂ© des explications proposĂ©es. Il est ainsi facile pour l’organisme de monter ses ateliers autour de l’outil scientifique tout en conservant l’ambiance de chaleur et de partage qui leur est chĂšre. L’outil ESPA (Entente sur le Soutien aux Proches Aidants), quant Ă  lui, est en cours d’analyse pas l’équipe afin de l’intĂ©grer du mieux possible au sein des activitĂ©s.

« Dans « Devenir aidant, ça s’apprend, il y a beaucoup d’échanges et de questions Ă  poser, donc c’est vraiment intĂ©ressant. Quand je regarde notre organisme et ce Ă  quoi ressemblent nos interventions, je vois l’outil comme un guide, parce que nos participants parlent beaucoup. Ça partage Ă©normĂ©ment c’est trĂšs enrichissant, quand tu poses une question, tout le monde Ă  quelque chose Ă  dire, c’est lĂ  que les ateliers deviennent super intĂ©ressants. « Devenir aidant » nous aide Ă  garder le fil de la rencontre. »

 

Nous remercions sincĂšrement le regroupement des proches aidants d’Abitibi-Ouest d’avoir acceptĂ© de rĂ©pondre Ă  nos questions et leur souhaitons bonne continuation.

Plus d’informations

Pour plus d’informations sur le regroupement Abitibi-Ouest : https://www.facebook.com/Regroupement-des-proches-aidants-dAbitibi-Ouest-1537014313265113/

 

Texte par Camille Briquet
Propos recueillis par Nicolas Pinget

proches aidants

Les produits déchets sourcés et leurs limites : rencontre avec Marilys Pradel

Les produits dĂ©chets sourcĂ©s et leurs limites : rencontre avec Marilys PradelMarilys Pradel est ingĂ©nieure de recherche Ă  Irstea au sein de l’UR « Technologies des SystĂšmes d’Information pour les agrosystĂšmes », spĂ©cialiste de l’Ă©valuation environnementale des technologies d’Ă©pandage agricole et de nouveaux produits fertilisants y compris les boues d’Ă©puration urbaines.

Expertises

Analyse du Cycle de Vie, Bilan Carbone.

À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec votre recherche ?

Marilys Pradel : Mes recherchent portent sur l’évaluation des performances environnementales des produits dĂ©chet-sourcĂ©s, avec une application aux fertilisants phosphatĂ©s destinĂ©s Ă  l’agriculture. Un produit dĂ©chet-sourcĂ© est un produit qui est fabriquĂ© en utilisant un dĂ©chet comme matiĂšre premiĂšre. Ces derniers peuvent ĂȘtre une solution Ă  l’épuisement des ressources naturelles en permettant de remplacer Ă  terme les produits issus de ressources non renouvelables. Je me suis penchĂ©e lors de ma thĂšse sur les fertilisants phosphatĂ©s Ă  destination de l’agriculture. La grande majoritĂ© des engrais phosphatĂ©s utilisĂ©s en agriculture sont produits Ă  partir de roches phosphatĂ©es, et donc issus de l’extraction miniĂšre. Cette ressource est consĂ©quemment en train de s’épuiser. Aujourd’hui, on sait qu’en 2030 aura lieu un pic de la production de phosphore. AprĂšs, forcĂ©ment, il y aura un Ă©puisement continu de la roche source. 2030 ce n’est que dans moins de 15 ans! Il nous reste donc peu de temps pour rĂ©flĂ©chir Ă  des solutions et trouver des productions alternatives Ă  ces fertilisants minĂ©raux phosphatĂ©s. L’une des solutions est d’aller chercher la ressource en phosphore dans les dĂ©chets, essentiellement les dĂ©chets issus des Ă©levages ou des stations d’épuration. Dans mon cas, je me suis intĂ©ressĂ©e au cas des boues issus des stations d’épuration des eaux usĂ©es comme matiĂšre premiĂšre pour rĂ©cupĂ©rer le prĂ©cieux phosphore.

En rĂ©sumĂ©, mes recherches cherchent Ă  dĂ©terminer de maniĂšre pertinente l’impact environnemental des produits dĂ©chet-sourcĂ©s et Ă  savoir comment amĂ©liorer la mĂ©thode d’Analyse du Cycle de Vie pour rĂ©pondre Ă  ces enjeux. Pour l’instant, les professionnels intĂ©ressĂ©s sont plutĂŽt les traiteurs d’eau. Ils doivent en effet gĂ©rer la boue gĂ©nĂ©rĂ©e par le procĂ©dĂ© comme un dĂ©chet mais ils pourraient tout aussi bien la valoriser comme un produit. Au lieu d’incinĂ©rer les boues ou de les Ă©pandre directement sur les sols agricoles, ils pourraient rĂ©cupĂ©rer le phosphore et le vendre comme un fertilisant produit par la station.

Quels sont les défis dans votre champ de recherche ?

Marilys Pradel : Je vois principalement deux défis majeurs.

Le premier consiste Ă  mieux prendre en compte le cycle de vie des produits dĂ©chet-sourcĂ©s, et notamment la maniĂšre de prendre en compte la charge environnementale liĂ©e Ă  la production du dĂ©chet qui devient un produit. Quand on fait une Analyse du Cycle de Vie, on analyse les impacts environnementaux des produits en prenant en compte l’intĂ©gralitĂ© de leurs cycles de vie, de leur fabrication Ă  leur fin de vie. Le recyclage permet en quelque sorte de « boucler la boucle », car il Ă©vite de puiser Ă  nouveau dans le milieu naturel. L’ACV a Ă©galement la particularitĂ© d’ĂȘtre multicritĂšre : elle permet d’évaluer plusieurs impacts sur l’environnement. On peut ainsi apprĂ©cier l’impact sur le changement climatique, l’eutrophisation du milieu aquatique, la toxicitĂ© humaine, la destruction de la couche d’ozone
 Il existe Ă©galement un indicateur qui permet d’évaluer l’épuisement des ressources naturelles. Le dĂ©fi, ici, c’est tout d’abord que dans le cycle de vie d’un produit, le dĂ©chet qui sort du systĂšme n’a pas de charge environnementale mais seulement un contenu (azote, phosphore, carbone). Vous ne prenez pas en compte les impacts du systĂšme qui l’ont produit. Or, Ă  partir du moment oĂč un dĂ©chet entre dans une chaine de valeur et crĂ©e indirectement de la valeur par sa transformation en un produit Ă  valeur ajoutĂ©e, la notion de « zĂ©ro charge environnementale » n’est plus valide. Il va falloir prendre en compte les impacts environnementaux qui sont liĂ©s Ă  sa fabrication, c’est-Ă -dire allouer les impacts du systĂšme qui a produit le dĂ©chet entre ce dernier et les autres produits qu’il gĂ©nĂšre au moyen d’un facteur d’allocation. Ce questionnement mĂ©thodologique a Ă©tĂ© au cƓur de ma thĂšse de doctorat. Le concept est novateur et n’a jamais Ă©tĂ© pensĂ© pour les produits issus du traitement des eaux usĂ©es. Le premier dĂ©fi, c’est donc de continuer sur cette lancĂ©e. J’ai travaillĂ© sur les boues d’épuration des eaux usĂ©es, mais la mĂ©thode que j’ai dĂ©veloppĂ©e peut trĂšs bien s’appliquer sur des effluents d’élevage ou d’autres procĂ©dĂ©s de sĂ©paration.

Le second dĂ©fi est l’amĂ©lioration des mĂ©thodes de caractĂ©risation en ACV vis-Ă -vis de l’épuisement des ressources naturelles. On regarde notamment ici comment les rĂ©serves d’élĂ©ments renouvelables issus des activitĂ©s anthropiques peuvent contribuer Ă  la rĂ©duction de la criticitĂ© des ressources. Les mĂ©thodes de caractĂ©risation sont des mĂ©thodes permettant de transformer les flux d’inventaire (par exemple, la quantitĂ© de phosphore qui sort de notre systĂšme) en impact environnemental. Or, on s’est rendu compte que le phosphore n’était pris en compte que dans trois mĂ©thodes de caractĂ©risation et n’était pas forcĂ©ment bien Ă©valuĂ© en termes d’épuisement des ressources. Il y a donc tout un volet de recherches visant Ă  amĂ©liorer ces mĂ©thodes de caractĂ©risation pour mieux prendre en compte tous les Ă©lĂ©ments renouvelables issus de l’anthroposphĂšre. Pour l’instant, ces mĂ©thodes de caractĂ©risation n’évaluent que ce qui est issu du milieu naturel, et c’est lĂ  notre second dĂ©fi principal.

Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ©e Ă  ce sujet ?

Marilys Pradel : J’ai toujours Ă©tĂ© intĂ©ressĂ©e par les questions environnementales. Mon intĂ©rĂȘt pour l’évaluation environnementale des produits dĂ©chet-sourcĂ©s s’est dĂ©veloppĂ© lorsque j’ai Ă©tĂ© sollicitĂ© par le ministĂšre de l’écologie français et l’ONEMA (Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques) pour rĂ©aliser le bilan environnemental (Gaz Ă  effet de serre) des filiĂšres de traitement et de valorisation des boues d’épuration urbaines. Ces travaux m’ont conduit Ă  m’intĂ©resser Ă  l’évaluation des fertilisants boue-sourcĂ©s (tel que la struvite par exemple) et donc plus largement aux produits dĂ©chet-sourcĂ©s. Avant je travaillais plus sur la partie qui touchait Ă  l’épandage et Ă  la valorisation et avec le temps, on a commencĂ© Ă  s’intĂ©resser Ă  la filiĂšre entiĂšre.

Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Marilys Pradel : Tout d’abord, je lui dirais qu’il a fait le bon choix, parce que quelqu’un qui voudrait travailler dans ce domaine-lĂ  aurait un champ d’investigation relativement important : c’est un sujet d’avenir ! On sait tous qu’à terme, les rĂ©serves de ressources naturelles vont s’épuiser, et que le gros dĂ©fi va ĂȘtre de mettre en place un procĂ©dĂ© de rĂ©cupĂ©ration de ces ressources qui soit respectueux de l’environnement. Pour l’instant quand on rĂ©alise l’ACV d’un fertilisant conventionnel et d’un fertilisant issu des boues d’épuration, on se rend compte que ce n’est pas du tout rentable d’un point de vue environnemental. La quantitĂ© de rĂ©actifs et d’énergie qu’il faut pour pouvoir extraire cette ressource est plus importante que celle nĂ©cessaire pour l’extraire d’une roche phosphatĂ©e. Tout l’enjeu va ĂȘtre de trouver des procĂ©dĂ©s de rĂ©cupĂ©ration qui puissent maximiser la rĂ©cupĂ©ration du phosphore, tout en minimisant l’impact sur l’environnement. C’est le grand dĂ©fi de la rĂ©cupĂ©ration d’élĂ©ments recyclables issus des dĂ©chets pour compenser l’épuisement des ressources naturelles. C’est un enjeu compliquĂ©, ce qui le rend d’autant plus intĂ©ressant.

Marilys Pradel chez eValorix

Texte par Camille Briquet.
Propos recueillis par Camille Briquet.

Luc Bres et la responsabilitĂ© sociale des entreprises : devenir acteur d’une sociĂ©tĂ© marchandisĂ©e

Luc Bres et la responsabilitĂ© sociale des entreprises : devenir acteur d’une sociĂ©tĂ© marchandisĂ©e

Luc Bres a Ă©tĂ© Ă©tudiant (Ph.D) Ă  HEC MontrĂ©al. Sa thĂšse de doctorat a Ă©tĂ© nominĂ©e pour la meilleure thĂšse de l’annĂ©e en 2013. AprĂšs un postdoctorat Ă  la Cass Business Shool Ă  Londres, il est maintenant professeur adjoint au dĂ©partement de management Ă  la facultĂ© des sciences de l’administration de l’UniversitĂ© Laval oĂč il codirige le Laboratoire interdisciplinaire de la responsabilitĂ© sociale des entreprises (LIRSE). Luc est spĂ©cialisĂ© sur les problĂ©matiques de responsabilitĂ© sociale des entreprises, le dĂ©veloppement durable et les diffĂ©rents outils de management.

Expertises

Développement durable, responsabilité sociale, outils de gestion, régulation.

À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec votre recherche ?

Luc BrĂšs : En rĂ©sumĂ©, je m’intĂ©resse Ă  la maniĂšre dont on peut se rĂ©approprier les marchĂ©s et les entreprises pour leur donner Ă  nouveau une vocation sociale et responsable. De nos jours, on entend souvent que l’on vit dans des sociĂ©tĂ©s extrĂȘmement marchandisĂ©es. Il est vrai qu’aujourd’hui, le marchĂ© s’étend Ă  tout : de l’éducation au corps, en passant par la culture, tous les domaines sont reprĂ©sentĂ©s ! Une fois ce constat rĂ©alisĂ©, chacun est libre de choisir sa façon de rĂ©agir. Certains sont dĂ©sespĂ©rĂ©s et diabolisent le marchĂ©, l’assimilant Ă  une mĂ©canique implacable, impossible Ă  maitriser, et menaçante pour toute forme de culture alternative. D’autres choisissent au contraire de lutter Ă  l’extĂ©rieur du marchĂ© Ă  travers une activitĂ© militante et politique. Cette dynamique peut ĂȘtre trĂšs intĂ©ressante, mais une troisiĂšme voie possible est de chercher comment rentrer soi-mĂȘme dans une logique Ă©conomique. GrĂące Ă  cela, il est possible de transformer l’économie et les entreprises directement de l’intĂ©rieur, en tant qu’acteur Ă©conomique. On peut noter par exemple le cas du chef d’entreprise qui va dĂ©velopper un modĂšle d’affaire responsable, tout comme celui du consommateur qui va acheter de maniĂšre raisonnĂ©e. Les investisseurs peuvent Ă©galement agir de maniĂšre engagĂ©e en s’intĂ©ressant Ă  tout ce que l’on appelle « l’investissement socialement responsable ». Mon rĂŽle, c’est de m’intĂ©resser Ă  tout cela : Ă  la maniĂšre dont on peut se rĂ©approprier les marchĂ©s et les entreprises Ă  travers nos actions comme acteurs Ă©conomiques.

Quels sont les défis dans votre champ de recherche ?

Luc Bres : Il y a trois dĂ©fis assez importants dans le domaine de la moralisation de l’entreprise et des acteurs Ă©conomiques.

Le premier, c’est que lorsque l’on travaille sur la place publique ou en entreprise, on est souvent face Ă  une vision polarisĂ©e des marchĂ©s. On est un peu entre le marteau et l’enclume. Notre vision du marchĂ© n’est pas naĂŻve, on ne pense pas que le marchĂ© va rĂ©soudre tous les problĂšmes sociĂ©taux, mĂȘme s’il ne faut pas ĂȘtre caricatural, c’est parfois ce que l’on voit dans certains milieux d’affaires. On n’a pas non plus une vision diabolique du marchĂ©, ce comme on peut parfois le voir dans les milieux plus militants. Bien sĂ»r, il y a plein d’ONG avec des visions trĂšs diverses : Greenpeace, par exemple, travaille avec les grandes entreprises, de mĂȘme qu’il y a des entreprises et des dirigeants qui proposent des dĂ©marches trĂšs responsables et innovant socialement. Pour autant, on est toujours un peu en tension entre les diffĂ©rents points de vue. Ça, c’est notre premier dĂ©fi dans la maniĂšre dont on aborde nos partenaires et dont on prĂ©sente les rĂ©sultats de recherche.

Il y a un deuxiĂšme dĂ©fi qui est plutĂŽt situĂ© au niveau de la mise en Ɠuvre. On utilise beaucoup la sociologie Ă©conomique pour essayer de dĂ©mystifier les marchĂ©s et l’entreprise. C’est une approche qui commence Ă  ĂȘtre assez reconnue dans le monde universitaire. La question qui se pose souvent est « Comment faire pour tirer des enseignements concrets pour les acteurs Ă©conomiques ? ». C’est rĂ©pondre Ă  cette interrogation que j’ai co crĂ©Ă© et que je codirige avec des collĂšgues le LIRSE (Laboratoire Interdisciplinaire sur la ResponsabilitĂ© Sociale des Entreprises) qui est un laboratoire donc avec une vocation plus opĂ©rationnelle. On tente de dĂ©velopper des outils concrets, de rĂ©flĂ©chir Ă  des modĂšles d’affaires plus responsables, de produire un contenu spĂ©cialisĂ© Ă  destination des praticiens. Dans ce cadre-ci, on fait face Ă  des enjeux de financement. Il n’est pas Ă©vident d’ĂȘtre capable de communiquer sur ce que l’on a Ă  offrir, cela fait partie des enjeux de l’opĂ©rationnalisation. Je pense que dans le domaine, la recherche fondamentale est dĂ©jĂ  bien avancĂ©e et reconnue. Pour la recherche opĂ©rationnelle, c’est plus compliquĂ©.

La derniĂšre chose, c’est qu’avec mes collaborateurs, nous sommes trĂšs conscients. On rĂ©flĂ©chit Ă©normĂ©ment aux consĂ©quences de nos travaux, et comme je le disais au dĂ©but, l’entreprise et le marchĂ© ne sont pas vus de la mĂȘme maniĂšre par tout le monde. On est parfois Ă©tonnĂ©s de comment les rĂ©sultats de certaines recherches sont interprĂ©tĂ©s. Par exemple, il y a peu de temps, on a travaillĂ© sur les consultants : certaines personnes vont croire que l’on fait l’apologie du marchĂ© et d’autres penseront l’inverse. Étant donnĂ© que l’on touche Ă  un domaine assez chargĂ© politiquement et animĂ© par un dĂ©bat permanent, il est vrai que nos rĂ©sultats de recherche peuvent ĂȘtre parfois un peu dĂ©tournĂ©s de ce que nous-mĂȘmes percevons dans ses rĂ©sultats. Cela rejoint l’enjeu de l’opĂ©rationnalisation : il y a un enjeu de bien prĂ©senter les rĂ©sultats pour que ces derniers soient les plus fidĂšles possible par rapport Ă  ce que l’on pense qu’ils mettent en valeur. Il est important que les nĂ©ophytes comprennent le fond de notre recherche.

Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ© Ă  ce sujet ?

Luc Bres : J’ai fait mon mĂ©moire de recherche sur la sociologie de Michel Freitag. C’est un sociologue quĂ©bĂ©cois extrĂȘmement critique sur l’époque actuelle, que lui et d’autres sociologues appellent la postmodernitĂ©. L’objet de mon mĂ©moire Ă©tait justement l’impossibilitĂ© ou l’extrĂȘme difficultĂ© de rĂ©guler et de contrĂŽler les organisations (souvent des entreprises et des multinationales). C’est un constat un peu pessimiste qui m’a poussĂ© Ă  me demander si tout Ă©tait vĂ©ridique. Je l’ai alors Ă©tudiĂ© dans ma thĂšse Ă  travers la construction d’ISO 26000, qui est la norme internationale ISO sur la responsabilitĂ© sociale des entreprises. Pour moi, ce qui a Ă©tĂ© l’élĂ©ment dĂ©clencheur, ce qui m’a fait aller vers ce type de recherche, c’est l’étude des rĂ©gulations. J’ai compris lors de ma thĂšse que ce que l’on appelle « rĂ©gulations » peut ĂȘtre diffĂ©rentes choses. Il y a tout d’abord la loi dure : par exemple, si vous conduisez trop vite, vous vous ferez prendre par la police et vous aurez une amende. C’est souvent le premier type de rĂ©gulation qui vient Ă  l’esprit. Contrairement Ă  ce que l’on croit, cela peut aussi ĂȘtre des choses beaucoup plus subtiles. Cela va d’une norme d’application volontaire, comme c’est donc le cas d’ISO 26000, ou, comme citĂ© prĂ©cĂ©demment, des modĂšles d’affaires responsables. Ainsi, une entreprise responsable qui a beaucoup de succĂšs commercial peut inspirer d’autres acteurs et voir mĂȘme tout un secteur de l’industrie. C’était un peu le cas de Uber ou de AirBnb qui ont transformĂ© leurs secteurs d’industrie. Maintenant, leurs pratiques sont franchement critiquables sur le plan de la responsabilitĂ©, mais au dĂ©part, il y avait un projet intĂ©ressant dans l’idĂ©e de partager les biens plutĂŽt que d’en produire ou en consommer d’autres.

Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Luc Bres : Il y a plusieurs choses que je dirais. PremiĂšrement, je pense que quand on travaille sur la rĂ©appropriation des marchĂ©s ou sur la responsabilitĂ© des entreprises, il faut de l’intĂ©gritĂ©. On est toujours face Ă  cette tension, entre ce que peuvent rĂ©ellement apporter les entreprises, leurs limites, leurs dĂ©viances… Par contre, je pense que ce qui est fascinant, c’est que si on cherche Ă  transformer la sociĂ©tĂ© et Ă  la rendre meilleure en agissant au sein de l’entreprise et des marchĂ©s, on est vraiment au centre du combat social actuel. C’est le lieu de la lutte sociale par excellence en ce moment, parce que l’on est dans une sociĂ©tĂ© trĂšs marchandisĂ©e. De par cela, le meilleur et le pire sont possibles, mais pour moi c’est un domaine stratĂ©gique.

Luc Bres chez eValorix

Texte par Camille Briquet.
Propos recueillis par Camille Briquet.

Jacqueline Rousseau et le maintien à domicile des personnes ùgées

Jacqueline Rousseau et le maintien Ă  domicile des personnes ĂągĂ©esJacqueline Rousseau Ph.D, est ergothĂ©rapeute et professeure titulaire au programme d’ergothĂ©rapie de l’École de rĂ©adaptation de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al. Elle est Ă©galement chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gĂ©riatrie de MontrĂ©al (CRIUGM) et directrice du laboratoire RE-PÈR+E (RElation PERsonne-Environnement). Jacqueline Rousseau est LaurĂ©ate du MĂ©rite du Conseil Interprofessionnel du QuĂ©bec (CIQ)-2010, pour s’ĂȘtre distinguĂ©e au service de sa profession et de son ordre professionnel.

Expertises

Maintien Ă  domicile et dans la communautĂ©, dĂ©veloppement d’instruments d’évaluation, gĂ©rontechnologies, accessibilitĂ© universelle et personnalisĂ©e.

À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec votre recherche?

Jacqueline Rousseau : Mes principales activitĂ©s de recherche concernent le maintien Ă  domicile des personnes ĂągĂ©es. Je dĂ©veloppe des instruments d’évaluation afin de mieux comprendre la communautĂ© vieillissante Ă  domicile et je m’adonne Ă  mettre sur pied des technologies pour venir en aide Ă  ces personnes ĂągĂ©es ainsi qu’à leurs proches aidants. Le but est de faciliter le travail des intervenants et de permettre aux aĂźnĂ©s de demeurer Ă  domicile dans les meilleures conditions. Les personnes ĂągĂ©es souhaitent demeurer le plus longtemps possible Ă  la maison et ce phĂ©nomĂšne est de plus en plus d’actualitĂ© au QuĂ©bec compte tenu du taux de vieillissement parmi les plus Ă©levĂ©s au monde. Notre prioritĂ© est d’effectuer de la recherche pour rĂ©duire leur nombre en institution. L’objectif est de maintenir leur qualitĂ© de vie et de favoriser le « bien vieillir » dans la communautĂ©. On observe d’ailleurs des changements positifs dans le domaine. En effet, l’Organisation mondiale de la santĂ© appuie maintenant les villes amies des aĂźnĂ©s. Ces municipalitĂ©s favorisent le maintien Ă  domicile en rendant notamment le transport et les ensembles rĂ©sidentiels mieux adaptĂ©s aux personnes ĂągĂ©es et Ă  mobilitĂ© rĂ©duite. Par exemple, certaines de ces municipalitĂ©s se prĂ©occupent d’avoir des feux de circulation avec un dĂ©lai plus long pour permettre aux personnes ĂągĂ©es de traverser la rue de façon sĂ©curitaire.

En somme, l’essentiel est de trouver des applications concrĂštes aux rĂ©sultats de recherches. Les stratĂ©gies et les outils dĂ©veloppĂ©s grĂące Ă  la recherche doivent ĂȘtre concertĂ©s avec les personnes ĂągĂ©es, les aidants et les intervenants pour ainsi s’assurer qu’ils peuvent ĂȘtre utiles. Il est primordial d’adapter les stratĂ©gies selon l’opinion des personnes directement concernĂ©es.

Quels sont les défis dans votre champ de recherche?

Jacqueline Rousseau : Le plus grand dĂ©fi est de financer les projets de recherche afin de les rĂ©aliser en temps opportun. Il faudrait davantage de bourses pour les Ă©tudiantes et Ă©tudiants pour assurer une bonne relĂšve dans les domaines liĂ©s au vieillissement. L’intĂ©rĂȘt des Ă©tudiants est lĂ , mais le financement de leurs Ă©tudes et de leurs projets de recherche est insuffisant.

De plus, les changements actuels dans le réseau de la santé et des services sociaux complexifient non seulement le travail des gens concernés, mais également la réalisation des projets de recherche.

Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ© Ă  ce sujet?

Jacqueline Rousseau : Mon intĂ©rĂȘt a dĂ©butĂ© lorsque j’étais clinicienne en tant qu’ergothĂ©rapeute dans une Ă©quipe de maintien Ă  domicile. C’était une des Ă©quipes pionniĂšres au QuĂ©bec Ă  participer Ă  la rĂ©adaptation dans les programmes de maintien Ă  domicile. Mon intĂ©rĂȘt s’est dĂ©veloppĂ© en constatant qu’il y avait beaucoup de connaissances Ă  parfaire. En effet, j’ai constatĂ© que la pratique clinique aurait avantage Ă  ĂȘtre appuyĂ©e par de nouvelles Ă©tudes. AprĂšs 10 ans de pratique clinique, j’ai entamĂ© une maĂźtrise puis un doctorat en recherche. Ces Ă©tudes et mon expĂ©rience m’ont menĂ© vers une carriĂšre universitaire et de recherche.

Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Jacqueline Rousseau : Je dirais qu’il est primordial d’ĂȘtre passionnĂ© par ce que l’on fait,  il ne faut jamais perdre sa crĂ©ativitĂ© ni freiner ses idĂ©es. Ce sont souvent les idĂ©es vues comme Ă©tant ‘’trop d’envergure’’ qui nous mĂšnent de l’avant et font progresser les choses. Il ne faut pas se laisser dĂ©courager par le contexte Ă©conomique et les problĂ©matiques du secteur de la santĂ©. MalgrĂ© les compressions budgĂ©taires et les changements de structures dans le secteur de la santĂ©, il faut pousser les dĂ©cideurs Ă  encourager la recherche et Ă  comprendre l’importance du maintien Ă  domicile. Le QuĂ©bec se positionne d’ailleurs assez bien dans le maintien Ă  domicile de ses aĂźnĂ©s et il est important de ne pas reculer. L’autonomie des personnes ĂągĂ©es est favorable Ă  tous, et ce, mĂȘme d’un point de vue Ă©conomique. Il est selon moi crucial que les dĂ©cisions soient prises de façon Ă  appuyer le maintien Ă  domicile.

Jacqueline Rousseau chez eValorix

Texte par Camille Briquet.
Propos recueillis par FĂ©lix Vaillancourt.

L’assistance aux proches aidants des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer : entrevue avec Luc Armand, fondateur de Soutien Alzheimer

Voici notre deuxiĂšme entrevue de la sĂ©rie d’articles dressant le portrait d’organisations qui Ɠuvrent Ă  mieux accompagner les proches aidants (voir la premiĂšre entrevue). Nous avons eu la chance d’échanger avec Luc Armand, fondateur de l’organisme Soutien Alzheimer. Voici son tĂ©moignage oĂč vous dĂ©couvrirez ses activitĂ©s et leurs impacts sur la vie des proches aidants. Les citations sont celles de Luc Armand.

Apporter de l’assistance aux proches aidants souvent dĂ©semparĂ©s face Ă  la maladie d’Alzheimer

Fort de ses 40 ans d’expĂ©rience en relation d’aide, Luc Armand a crĂ©Ă© Soutien Alzheimer il y a 7 ans dans un but prĂ©cis : celui d’apporter une assistance rapide, complĂšte et efficace aux proches aidants souvent dĂ©sƓuvrĂ©s face aux changements d’attitudes et de comportements qu’entraĂźne la maladie d’Alzheimer. DĂšs l’apparition des premiers troubles neurocognitifs, l’entourage du parent ou du conjoint atteint prend le rĂŽle un proche aidant. Parfois, ils endossent ce rĂŽle naturellement, mais d’autre fois, ce dernier leur est imposĂ©. Dans la plupart des cas, ce nouveau rĂŽle comporte son lot de dĂ©fis afin d’accompagner du mieux possible la personne atteinte. Cette situation est souvent subite par le proche aidant, difficile Ă  apprĂ©hender et qui confronte Ă  l’inconnu. Le service de «coaching familial» se traduit par un accompagnement complet de l’annonce de la maladie jusqu’aux pĂ©riodes les plus critiques.

« Soutien Alzheimer s’adresse majoritairement aux proches aidants, ce sont Ă©videmment des membres de familles, frĂšres, sƓurs, conjoints, amis qui ont dans leur entourage des personnes atteintes de troubles neurocognitifs, majoritairement de la maladie d’Alzheimer. Ce sont des gens qui lorsqu’ils appellent, sont complĂštement dĂ©sƓuvrĂ©s. Ils ne savent plus quoi faire et en connaissent trĂšs peu sur la maladie. Ils se posent la question : ‘’qu’est-ce que je fais ?’’. La personne (atteinte) n’agit plus de la façon habituelle dans la vie quotidienne, se comporte diffĂ©remment avec les gens et a une parole parfois dĂ©sobligeante. Ils veulent tous comprendre la maladie et savoir comment agir pour aider la personne.”

Former et rassurer les proches aidants à travers des activités collectives ou personnalisées

Afin de partager son expertise et d’accompagner les proches aidants, Luc Armand via Soutien Alzheimer propose plusieurs activitĂ©s dans toute la rĂ©gion du grand MontrĂ©al. Du soutien individualisĂ© avec les familles, coaching familial, aux formations sur-mesure auprĂšs du personnel de rĂ©sidences, en passant par des confĂ©rences, Luc Armand met l’humain Ă  l’avant plan dans ces activitĂ©s. Quel que soit le public cible, l’objectif est toujours le mĂȘme : amener les proches aidants Ă  mieux connaĂźtre la maladie, Ă  amĂ©liorer leur communication avec les personnes atteintes et Ă  mieux nĂ©gocier avec leurs comportements dĂ©plaisants.

Lors de notre Ă©change, nous nous sommes attardĂ©s sur notre comprĂ©hension de l’approche personnalisĂ©e avec les familles. Nous en avons appris davantage sur les dĂ©fis situĂ©s en dĂ©but de parcours auxquels sont confrontĂ©s les proches aidants qu’accompagne Soutien Alzheimer depuis plusieurs annĂ©es. PoussĂ©s par leur grand cƓur et leur envie de bien faire, les proches aidants surpassent ou sont en voie de surpasser leurs propres limites. Il est alors crucial Ă  ce moment-lĂ  de leur rappeler l’importance de prendre soin de soi afin d’aider les autres Ă  se sentir mieux : aider une personne malade sans tomber malade. Concernant les familles, ce sont gĂ©nĂ©ralement les enfants des personnes atteintes qui contactent Soutien Alzheimer. Le premier contact se fait par un entretien tĂ©lĂ©phonique. Par la suite, une rencontre peut se dĂ©rouler en regroupant les gens d’une mĂȘme famille. En gĂ©nĂ©ral, de 2 Ă  5 personnes se retrouvent autour de la table et en l’absence de la personne atteinte. Cette façon permet ainsi de rĂ©unir les conditions propices Ă  la personnalisation de la rencontre et Ă  une libertĂ© d’expression optimale, sans peur de blesser la personne malade.

« Je vais avoir diffĂ©rentes approches selon le type d’activitĂ©s. Pour les familles, les rencontres vont regrouper tous ceux qui ont Ă  cƓur la personne et qui veulent aider. La premiĂšre rencontre peut avoir lieu chez l’un des proches aidants ou Ă  mon bureau. Comme les gens mĂ©connaissent la maladie, parfois lorsqu’ils expriment leurs prĂ©occupations et leur tristesse, la personne atteinte ne comprend pas. Elle adopte alors des comportements qui nĂ©cessitent une intervention ce qui brise le rythme de la rencontre. Au final, les gens s’empĂȘchent d’exprimer leurs pensĂ©es rĂ©elles. DĂ©sormais, je ne fais plus de rencontre avec la personne atteinte. Par la suite, je peux me dĂ©placer au domicile, rencontrer la personne atteinte et enseigner, en mĂȘme temps, aux proches aidants, des façons de communiquer et d’agir pour entretenir la relation avec elle. C’est une approche trĂšs personnalisĂ©e avec la famille. Par ailleurs, les ateliers que j’anime avec la SociĂ©tĂ© d’Alzheimer de MontrĂ©al ne sont pas personnalisĂ©s Ă©tant un groupe de proches aidants. L’approche est totalement diffĂ©rente, mais le but final reste le mĂȘme ».

Faire Ă©voluer les mentalitĂ©s et aider les familles Ă  mieux comprendre les personnes atteintes d’Alzheimer

Nous avons Ă©tĂ© Ă©mus par l’histoire de Luc Armand. En effet, plusieurs membres de sa famille ont Ă©tĂ© touchĂ©s par l’Alzheimer. À ce moment-lĂ , il s’est intĂ©ressĂ© Ă  la maladie et est allĂ© chercher de l’aide Ă  la SociĂ©tĂ© d’Alzheimer pour ensuite en devenir l’un des formateurs. Il a alors pu constater les nombreuses rĂ©percussions de la maladie d’Alzheimer que doivent affronter les familles. Par Soutien Alzheimer, il transmet ses connaissances. Pour lui, le plus grand dĂ©fi est de faire Ă©voluer les mentalitĂ©s et d’amener les proches aidants Ă  mieux comprendre les malades. Il cherche Ă©galement Ă  prĂ©parer les familles Ă  la prise de dĂ©cision la plus bienveillante malgrĂ© l’opposition de la personne atteinte.
Lors de notre discussion, il nous a dĂ©voilĂ© qu’environ 50% des appels reçus se concrĂ©tisaient par une premiĂšre rencontre, illustrant ainsi un vĂ©ritable besoin dans la sociĂ©tĂ©. En tout, c’est une vingtaine de familles que ce service accompagne chaque annĂ©e. L’intervenant met un point d’honneur Ă  impliquer l’ensemble des gĂ©nĂ©rations de la famille notamment les enfants dans le processus d’accompagnement et leur rĂ©seau Ă©largi. Ainsi, cela permet de faire Ă©voluer les mentalitĂ©s, de mieux comprendre les changements de comportements et les pratiques Ă  adopter.

« Je suis peut-ĂȘtre un expert de l’Alzheimer, mais les experts de la personne, ce sont les familles. Comme je dis toujours, j’ai des propositions de solutions, mais ce sont les vĂŽtres qui sont importantes. Moi, je les implique beaucoup dans les actions Ă  poser, pas juste en parole. Au retour Ă  la maison, vous pourrez en discuter ensemble. J’insiste beaucoup pour que les enfants et les petits enfants soient impliquĂ©s dans le processus. Parfois, les petits enfants sont rendus Ă  16 ans et ont besoin aussi de comprendre pourquoi grand-papa n’agit pas de la mĂȘme façon, pourquoi des fois il crie aprĂšs eux et aprĂšs il vient leur prendre la main. Les enfants, parfois, ne savent pas trop pourquoi. C’est un travail passionnant, surtout lorsque je vois les familles qui vivent mieux la maladie au fil des mois ».

« Devenir aidant, ça s’apprend », un programme au cƓur du processus d’accompagnement de Soutien Alzheimer

Afin d’accompagner au mieux les proches aidants, Soutien Alzheimer s’appuie sur le programme « Devenir aidant, ça s’apprend » dĂ©veloppĂ© par la Chaire de recherche en soins infirmiers Ă  la personne ĂągĂ©e et Ă  la famille. Cet outil, souvent introduit au cours de la deuxiĂšme ou troisiĂšme sĂ©ance, offre Ă  Luc Armand un cadre structurant sa dĂ©marche et ses prochaines actions. Il permet, une fois passĂ©e la pĂ©riode d’acceptation du proche, de dĂ©marrer progressivement chaque plan d’intervention.

« Plusieurs aspects de ces documents m’ont aidĂ© Ă  m’assurer que j’étais sur la bonne voie et de m’affirmer dans mes actes. Évidemment, tout dĂ©pend de l’utilisation que nous en faisons. Personnellement, je priorise l’écoute et le cĂŽtĂ© humain. Ces documents m’aident Ă©normĂ©ment. Le programme est un guide vraiment efficace qui me permet de cerner plus rapidement les besoins du groupe et de l’amener Ă  ĂȘtre actif. Je partage complĂštement la vision de ce guide, on dirait vraiment qu’il a Ă©tĂ© Ă©crit pour moi ! ».

 

Nous remercions Luc Armand pour le portrait qu’il nous a dressĂ© de cet organisme qui Ɠuvre depuis plusieurs annĂ©es sur le territoire du Grand MontrĂ©al. Nous lui souhaitons Ă©galement bonne chance dans la suite de ses projets.

 

Plus d’informations

Pour plus d’informations sur Soutien Alzheimer, dĂ©couvrez leur site internet ici : http://www.soutienalzheimer.com/

 

Texte par Camille Briquet
Propos recueillis par Nicolas Pinget

soutien-alzheimer

ValĂ©ry Ridde, le dĂ©fi de l’Ă©quitĂ© en santĂ© publique mondiale et la distribution des ressources

Valéry Ridde, le défi de l'équité en santé publique mondiale et la distribution des ressources

ValĂ©ry Ridde est professeur agrĂ©gĂ© au DĂ©partement de mĂ©decine sociale et prĂ©ventive Ă  l’UniversitĂ© de MontrĂ©al. Il est Ă©galement chercheur Ă  l’UniversitĂ© de l’Institut de Recherche en SantĂ© Publique de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al (IRSPUM). Enfin, il est titulaire d’une chaire en santĂ© publique appliquĂ©e IRSC / ASPC Ă  travers laquelle il applique son expĂ©rience multidisciplinaire pour mener Ă  bien un projet sur la mise en Ɠuvre des interventions de santĂ© communautaires Ă  travers le monde, afin de les rendre plus efficaces et Ă©quitables. 

Expertises

Évaluation de programmes, promotion de la santĂ©, approches communautaires en santĂ©, Ă©quitĂ© en santĂ©, mise en Ɠuvre de politiques de santĂ© et organisation et le financement des systĂšmes de santĂ©.

À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec vos recherches?

ValĂ©ry Ridde : Mes recherches se concentrent sur les dĂ©fis majeurs d’équitĂ© en matiĂšre de distribution des ressources dans le contexte de la santĂ© mondiale.  Le besoin prioritaire sur lequel je travaille depuis longtemps est celui de l’accĂšs aux soins de santĂ© des populations les plus vulnĂ©rables. Ces recherches s’effectuent Ă©videmment en Afrique, mais Ă©galement au Canada, oĂč l’on parle gĂ©nĂ©ralement d’immigrants Ă  statuts prĂ©caires, sans assurance maladie. Ces derniers Ă©prouvent des difficultĂ©s Ă  se soigner. Je travaille Ă  dĂ©terminer comment mettre en place de maniĂšre optimisĂ©e des interventions efficaces et Ă©quitables pour que l’accĂšs aux soins de ces populations vulnĂ©rables soit facilitĂ©. J’essaie Ă©galement d’étudier les enjeux liĂ©s Ă  la mise en Ɠuvre de ces interventions. Je trouve que dans le domaine de la recherche, on s’attarde davantage Ă  l’efficacitĂ©, mais peu Ă  la mise en Ɠuvre, qui est pourtant essentielle afin de comprendre et d’évaluer l’efficacitĂ© d’une intervention.

Par ailleurs,  je m’intĂ©resse aux moyens pour rendre les rĂ©sultats de recherches utiles, et utilisables facilement par les dĂ©cideurs et les intervenants. À cette fin, je cherche Ă  dĂ©terminer quelles sont les dĂ©marches qui peuvent favoriser l’utilisation des connaissances par une meilleure application de ces derniĂšres.

Quels sont les défis dans votre champ de recherche?

ValĂ©ry Ridde : Comme pour beaucoup de chercheurs, le dĂ©fi numĂ©ro un est de trouver du financement. C’est un dĂ©fi qui est d’autant plus important dans le domaine de la recherche en santĂ© mondiale, car elle est encore peu reconnue et financĂ©e au Canada. Il  y a en effet une vĂ©ritable orientation des ressources vers des recherches concernant des enjeux biomĂ©dicaux et ce, au dĂ©triment des recherches importantes dans le domaine des sciences sociales et des interventions. De mĂȘme, de nombreuses organisations financent des actions et interventions favorisant l’accĂšs aux soins, mais trĂšs peu financent la recherche. Pourtant, il y a encore un besoin important de dĂ©velopper de la recherche sur ces interventions ! On donne des millions Ă  certains projets, mais des miettes pour essayer de comprendre les mĂ©canismes et dĂ©terminer les pistes d’amĂ©lioration des interventions. Pour certaines organisations, d’un point de vue de justification et de visibilitĂ© des activitĂ©s, donner des millions pour montrer que l’on cherche Ă  « changer les choses » a plus de sens que d’essayer de les comprendre et d’en mesurer l’impact. L’un des dĂ©fis dans les interventions d’aide au dĂ©veloppement est le discours normatif tenu par les intervenants sur leurs actions. En effet, certains ont tendance Ă  glorifier leurs initiatives et pensent qu’elles sont « formidables et qu’elles sauvent la vie des gens » alors que la situation est souvent bien plus complexe.  Le dĂ©fi est de voir derriĂšre ces discours normatifs afin de dĂ©couvrir la rĂ©alitĂ© sur le terrain. Par exemple, nous avons passĂ© une annĂ©e avec des chercheurs Ă  analyser un projet et nous sommes parvenus Ă  dĂ©montrer son inutilitĂ© dans un pays d’Afrique. MalgrĂ© les millions investis dans ce dernier pendant 10 ans, la seule rĂ©ponse reçue a Ă©té : « Et bien nous allons le continuer ».

Bien sĂ»r, la recherche prĂ©sente tout de mĂȘme un dĂ©fi de pertinence et d’utilitĂ©. Je parle tout d’abord de pertinence scientifique, soit de crĂ©er de nouvelles connaissances. Mais je parle aussi et surtout de pertinence sociale, c’est-Ă -dire de crĂ©er des connaissances qui seront utiles pour les dĂ©cideurs et les intervenants, et non simplement pour permettre Ă  des chercheurs de publier des articles.

En outre, en travaillant Ă  l’international, j’ai le dĂ©fi de crĂ©er des alliances de recherches avec des collĂšgues du monde entier, et de les maintenir malgrĂ© les enjeux Ă  long terme de confiance et de respect mutuel. Ces alliances sont essentielles Ă  la recherche exercĂ©e Ă  l’étranger.

Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ© Ă  ce sujet?

ValĂ©ry Ridde : J’ai longtemps travaillĂ© pour des organisations non gouvernementales internationales en Afrique et au Moyen-Orient. J’ai beaucoup travaillĂ© en intervention et je mettais en place des projets qui touchaient notamment Ă  l’accĂšs aux soins. AprĂšs plusieurs annĂ©es, j’ai pris conscience qu’il manquait une dimension de recherche et d’utilisation des connaissances pour pouvoir dĂ©velopper de meilleures interventions. Mon expĂ©rience en intervention fait en sorte qu’aujourd’hui, mes recherches sont trĂšs appliquĂ©es et trĂšs proches du terrain. C’est ainsi que je me suis intĂ©ressĂ© Ă  ce type de sujet.

Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

ValĂ©ry Ridde : Je lui dirais de bien rĂ©flĂ©chir. On forme beaucoup de jeunes chercheurs et de doctorants. Mais, malheureusement, il y a peu de places dans les universitĂ©s et dans les centres de recherches. Le milieu devient trĂšs compĂ©titif.  Il faut savoir si l’on veut vraiment faire de la recherche et si cela nous passionne rĂ©ellement. Il faut par ailleurs dĂ©terminer si l’on est prĂȘt Ă  payer le prix social d’une carriĂšre en recherche, sachant qu’il reste peu de candidats Ă  la fin. Toutefois, si l’on est prĂȘt, il faut alors persĂ©vĂ©rer et miser sur la crĂ©ation d’alliances avec des collĂšgues et intervenants sur le terrain. Il faut Ă©galement rĂ©flĂ©chir Ă  la pertinence sociale de ce que l’on fait. Dans ce domaine, la recherche doit ĂȘtre utile, mais aussi permettre au chercheur de demeurer pertinent dans le domaine universitaire. Pour demeurer dans ce milieu, il faut ĂȘtre ĂȘtre stratĂ©gique en jouant sur ces deux tableaux.

Dans cette optique, la Chaire en Recherches AppliquĂ©es Interventionnelles en SantĂ© Mondiale et ÉquitĂ© (Chaire REALISME), dont je suis le titulaire, appuie la relĂšve scientifique en offrant des bourses, organisant des interventions et des implications dans l’action de recherche. C’est une implication importante, car le financement et l’aide aux Ă©tudiants sont difficiles Ă  obtenir. La Chaire permet Ă©galement de tester des outils de transfert des connaissances plutĂŽt innovants. Nous tentons avec des collĂšgues de dĂ©velopper des interventions de terrain qui visent Ă  amĂ©liorer l’utilisation de la recherche, mais aussi des outils innovants sur internet, des caricatures, des films, des infographies, des processus sur les mĂ©dias sociaux, etc. Nous essayons d’innover sur la maniĂšre de partager les rĂ©sultats de recherches et ne pas se limiter Ă  simplement publier un article scientifique. La Chaire est un peu une espĂšce d’incubateur autour duquel plein de gens gravitent, c’est trĂšs intĂ©ressant.

Voir les outils de la Chaire REALISME diffusés sur eValorix.

Valéry Ridde chez eValorix

Texte par Fanny Vadnais

Propos recueillis par Nicolas Pinget

Changer la vie des proches aidants, prĂ©venir l’épuisement et briser l’isolement dans la VallĂ©e-de-la-Batiscan : entrevue avec JosĂ©e GĂ©linas

RĂ©sultat d’une entrevue avec JosĂ©e GĂ©linas, directrice de l’Association des Personnes Aidantes de la VallĂ©e-de-la-Batiscan, cet article est le premier d’une sĂ©rie visant Ă  dresser le portrait d’organisations qui travaillent sans relĂąche Ă  mieux accompagner les proches aidants. Les citations dans cet article sont celles de JosĂ©e GĂ©linas.

Un dĂ©fi : celui de rejoindre les proches aidants avant la situation d’épuisement!

Depuis 2003, l’Association des Personnes Aidantes de la VallĂ©e-de-la-Bastican (APAVB) Ɠuvre Ă  briser l’isolement des proches aidants dans la rĂ©gion en offrant du soutien, de l’information et de la formation. Initialement actif sur le territoire de MĂ©kinac, l’organisme a Ă©tendu ses activitĂ©s Ă  la MRC des Cheneaux, couvrant ainsi la totalitĂ© du territoire de la VallĂ©e-de-la-Batiscan comme en tĂ©moignent les 343 membres que l’association dessert. L’un des plus grands dĂ©fis de l’organisme est de rejoindre ces proches aidants avant qu’ils ne soient en situation d’épuisement.

« Souvent et surtout en dĂ©but de parcours, les aidants priorisent davantage les besoins de la personne aidĂ©e au dĂ©triment de leurs propres besoins. Ils se retrouvent alors parfois eux-mĂȘmes en situation d’épuisement, au bord de l’hospitalisation et se voient alors obligĂ©s de placer la personne en institution. Notre dĂ©fi est de rejoindre les proches aidants sur le marchĂ© du travail et de les rejoindre avant qu’ils ne soient Ă©puisĂ©s ».

PrĂ©venir l’épuisement avec une panoplie d’activitĂ©s afin de briser l’isolement et d’offrir un peu de rĂ©pit pour les proches aidants

Afin de prĂ©venir ce genre de situation, l’APAVB organise des confĂ©rences, des ateliers mis sur pied par des intervenants multidisciplinaires (Ă©ducateurs spĂ©cialisĂ©s, travailleurs sociaux, psychoĂ©ducateurs, etc.) et d’autres activitĂ©s dans la rĂ©gion. Plusieurs d’entre elles ont particuliĂšrement retenu notre attention. C’est notamment le cas d’Aider sans s’épuiser, un atelier de discussion dans lequel les proches aidants Ă©changent sur la culpabilitĂ© qu’ils peuvent ressentir face aux exigences et aux responsabilitĂ©s imposĂ©es par leur rĂŽle d’aidant. L’activitĂ© CafĂ©-Rencontre quant Ă  elle permet d’aborder des thĂ©matiques spĂ©cifiques au rĂŽle d’aidant avec un invitĂ©. Nous avons Ă©tĂ© amusĂ©s d’apprendre l’existence des CafĂ©-Jasettes, activitĂ©s au cours desquelles l’équipe de l’APAVB se dĂ©place dans les diverses municipalitĂ©s de la VallĂ©e afin de favoriser la discussion entre aidants autour d’une crĂšme glacĂ©e ou d’un bon cafĂ©. Enfin, du soutien individuel est Ă©galement offert afin de rĂ©pondre aux besoins de certains proches aidants moins Ă  l’aise de partager leur expĂ©rience en public. Le mariage de ces activitĂ©s semble ĂȘtre un bon remĂšde Ă  l’isolement et Ă  l’épuisement des proches aidants.

En plus des activitĂ©s mentionnĂ©es, l’APAVB offre Ă©galement du temps de rĂ©pit aux proches aidants par le biais de plusieurs projets appuyĂ©s par des partenaires financiers. Par exemple, le projet financĂ© par l’Appui Mauricie, À l’écoute de nos besoins a permis de financer 24h de rĂ©pit au coĂ»t de 3$ l’heure, et ce pour 50 proches aidants d’aĂźnĂ©s. Ce projet qui s’échelonne sur une pĂ©riode de 3 ans et permet Ă©galement Ă  l’association d’offrir annuellement 4 journĂ©es de ressourcement oĂč plusieurs sujets prĂ©alablement ciblĂ©s par un comitĂ© de proches aidants sont abordĂ©s.

Le projet DĂ©tente entre Bonnes Mains, financĂ© par la Fondation de la FĂ©dĂ©ration des mĂ©decins spĂ©cialistes du QuĂ©bec, permet quant Ă  lui d’offrir 20h de rĂ©pit gratuit aux proches aidants de personnes de tous les Ăąges.

« Nos activitĂ©s sont trĂšs variĂ©es et passent de l’organisation d’une cabane Ă  sucre Ă  de l’aide pour remplir des formulaires de crĂ©dits d’impĂŽt. Pour les CafĂ©-Jasettes par exemple, ce sont des rencontres assez informelles. C’est plutĂŽt un Ă©change et un retour sur expĂ©riences entre proches aidants vivant des situations et des problĂ©matiques similaires ».

Proposer des ressources et utiliser des programmes développés par des chercheurs afin de changer la vie des proches aidants

Au-delĂ  des activitĂ©s proposĂ©es, l’APAVB met Ă  disposition des ressources et de l’information afin d’aider les aidants. Via son centre de documentation, l’association prĂȘte des DVD, livres et autres documentations sur le sujet. L’organisme diffuse Ă©galement plusieurs informations (programmation d’activitĂ©s, suggestions de livres, annonces de nouveaux projets, etc.) dans l’Écho-Aidant, son journal mensuel. Enfin, plusieurs chroniques/sondages thĂ©matiques sont publiĂ©es sur le site web de l’association et sur ses mĂ©dias sociaux (ex. : prĂ©venir l’épuisement pour aider efficacement).
Afin de mieux accompagner les proches aidants, l’APAVB utilise aussi des ressources provenant de la recherche universitaire. C’est notamment le cas des programmes Devenir aidant ça s’apprend, Gestion du stress et Prendre soin de moi dĂ©veloppĂ©s par la Chaire Desjardins en soins infirmiers Ă  la personne ĂągĂ©e et Ă  la famille (sous la direction de Francine Ducharme). Parmi ces 3 outils, le programme Gestion du stress, permettant d’identifier des stresseurs et de travailler sur ces derniers, semble ĂȘtre le plus apprĂ©ciĂ© des proches aidants accompagnĂ©s Ă  l’heure actuelle.

« Les diffĂ©rents programmes sont trĂšs intĂ©ressants. Ils donnent une uniformitĂ© et une certaine structure Ă  mes intervenants qui n’ont pas tout le temps la mĂȘme formation. En mĂȘme temps, les aidants apprĂ©cient beaucoup les programmes, surtout le programme Gestion du stress. C’est celui que nous avons le plus animĂ© et ceux qui y ont participĂ© disent que ça a changĂ© leur vie du tout au tout, car c’est trĂšs centrĂ© sur leurs besoins personnels. Ils ne voient pas tout le temps le global d’une situation. Un peu comme l’expression l’élĂ©phant ça se mange, si on le coupe en tranches. C’est un peu la mĂȘme idĂ©e. Quand on les rencontre, ça permet de focaliser sur ce qu’on a Ă  faire et d’avoir un plan en commençant Ă  travailler sur un stresseur en particulier. Quand le proche a travaillĂ© sur un stresseur, il est ensuite capable de l’appliquer ailleurs dans d’autres sphĂšres de sa vie».

Nous remercions JosĂ©e GĂ©linas pour cette belle dĂ©couverte et lui souhaitons bonne chance dans la rĂ©ussite de l’Association des personnes aidantes de la VallĂ©e-de-la-Batiscan!

Plus d’informations
Pour plus d’information sur l’Association des Personnes Aidantes de la VallĂ©e-de-la-Batiscan, dĂ©couvrez leur site internet ici : http://www.aidantsvalleebatiscan.org/

Texte par Fanny Vadnais et Nicolas Pinget

Propos recueillis par Nicolas Pinget

Changer la vie des proches aidants, prĂ©venir l’épuisement et briser l’isolement dans la VallĂ©e-de-la-Batiscan : entrevue avec JosĂ©e GĂ©linas

RĂ©sultat d’une entrevue avec JosĂ©e GĂ©linas, directrice de l’Association des Personnes Aidantes de la VallĂ©e-de-la-Batiscan, cet article est le premier d’une sĂ©rie visant Ă  dresser le portrait d’organisations qui travaillent sans relĂąche Ă  mieux accompagner les proches aidants. Les citations dans cet article sont celles de JosĂ©e GĂ©linas.

Un dĂ©fi : celui de rejoindre les proches aidants avant la situation d’épuisement!

Depuis 2003, l’Association des Personnes Aidantes de la VallĂ©e-de-la-Bastican (APAVB) Ɠuvre Ă  briser l’isolement des proches aidants dans la rĂ©gion en offrant du soutien, de l’information et de la formation. Initialement actif sur le territoire de MĂ©kinac, l’organisme a Ă©tendu ses activitĂ©s Ă  la MRC des Cheneaux, couvrant ainsi la totalitĂ© du territoire de la VallĂ©e-de-la-Batiscan comme en tĂ©moignent les 343 membres que l’association dessert. L’un des plus grands dĂ©fis de l’organisme est de rejoindre ces proches aidants avant qu’ils ne soient en situation d’épuisement.

« Souvent et surtout en dĂ©but de parcours, les aidants priorisent davantage les besoins de la personne aidĂ©e au dĂ©triment de leurs propres besoins. Ils se retrouvent alors parfois eux-mĂȘmes en situation d’épuisement, au bord de l’hospitalisation et se voient alors obligĂ©s de placer la personne en institution. Notre dĂ©fi est de rejoindre les proches aidants sur le marchĂ© du travail et de les rejoindre avant qu’ils ne soient Ă©puisĂ©s ».

PrĂ©venir l’épuisement avec une panoplie d’activitĂ©s afin de briser l’isolement et d’offrir un peu de rĂ©pit pour les proches aidants

Afin de prĂ©venir ce genre de situation, l’APAVB organise des confĂ©rences, des ateliers mis sur pied par des intervenants multidisciplinaires (Ă©ducateurs spĂ©cialisĂ©s, travailleurs sociaux, psychoĂ©ducateurs, etc.) et d’autres activitĂ©s dans la rĂ©gion. Plusieurs d’entre elles ont particuliĂšrement retenu notre attention. C’est notamment le cas d’Aider sans s’épuiser, un atelier de discussion dans lequel les proches aidants Ă©changent sur la culpabilitĂ© qu’ils peuvent ressentir face aux exigences et aux responsabilitĂ©s imposĂ©es par leur rĂŽle d’aidant. L’activitĂ© CafĂ©-Rencontre quant Ă  elle permet d’aborder des thĂ©matiques spĂ©cifiques au rĂŽle d’aidant avec un invitĂ©. Nous avons Ă©tĂ© amusĂ©s d’apprendre l’existence des CafĂ©-Jasettes, activitĂ©s au cours desquelles l’équipe de l’APAVB se dĂ©place dans les diverses municipalitĂ©s de la VallĂ©e afin de favoriser la discussion entre aidants autour d’une crĂšme glacĂ©e ou d’un bon cafĂ©. Enfin, du soutien individuel est Ă©galement offert afin de rĂ©pondre aux besoins de certains proches aidants moins Ă  l’aise de partager leur expĂ©rience en public. Le mariage de ces activitĂ©s semble ĂȘtre un bon remĂšde Ă  l’isolement et Ă  l’épuisement des proches aidants.

En plus des activitĂ©s mentionnĂ©es, l’APAVB offre Ă©galement du temps de rĂ©pit aux proches aidants par le biais de plusieurs projets appuyĂ©s par des partenaires financiers. Par exemple, le projet financĂ© par l’Appui Mauricie, À l’écoute de nos besoins a permis de financer 24h de rĂ©pit au coĂ»t de 3$ l’heure, et ce pour 50 proches aidants d’aĂźnĂ©s. Ce projet qui s’échelonne sur une pĂ©riode de 3 ans et permet Ă©galement Ă  l’association d’offrir annuellement 4 journĂ©es de ressourcement oĂč plusieurs sujets prĂ©alablement ciblĂ©s par un comitĂ© de proches aidants sont abordĂ©s.

Le projet DĂ©tente entre Bonnes Mains, financĂ© par la Fondation de la FĂ©dĂ©ration des mĂ©decins spĂ©cialistes du QuĂ©bec, permet quant Ă  lui d’offrir 20h de rĂ©pit gratuit aux proches aidants de personnes de tous les Ăąges.

« Nos activitĂ©s sont trĂšs variĂ©es et passent de l’organisation d’une cabane Ă  sucre Ă  de l’aide pour remplir des formulaires de crĂ©dits d’impĂŽt. Pour les CafĂ©-Jasettes par exemple, ce sont des rencontres assez informelles. C’est plutĂŽt un Ă©change et un retour sur expĂ©riences entre proches aidants vivant des situations et des problĂ©matiques similaires ».

Proposer des ressources et utiliser des programmes développés par des chercheurs afin de changer la vie des proches aidants

Au-delĂ  des activitĂ©s proposĂ©es, l’APAVB met Ă  disposition des ressources et de l’information afin d’aider les aidants. Via son centre de documentation, l’association prĂȘte des DVD, livres et autres documentations sur le sujet. L’organisme diffuse Ă©galement plusieurs informations (programmation d’activitĂ©s, suggestions de livres, annonces de nouveaux projets, etc.) dans l’Écho-Aidant, son journal mensuel. Enfin, plusieurs chroniques/sondages thĂ©matiques sont publiĂ©es sur le site web de l’association et sur ses mĂ©dias sociaux (ex. : prĂ©venir l’épuisement pour aider efficacement).
Afin de mieux accompagner les proches aidants, l’APAVB utilise aussi des ressources provenant de la recherche universitaire. C’est notamment le cas des programmes Devenir aidant ça s’apprend, Gestion du stress et Prendre soin de moi dĂ©veloppĂ©s par la Chaire Desjardins en soins infirmiers Ă  la personne ĂągĂ©e et Ă  la famille (sous la direction de Francine Ducharme). Parmi ces 3 outils, le programme Gestion du stress, permettant d’identifier des stresseurs et de travailler sur ces derniers, semble ĂȘtre le plus apprĂ©ciĂ© des proches aidants accompagnĂ©s Ă  l’heure actuelle.

« Les diffĂ©rents programmes sont trĂšs intĂ©ressants. Ils donnent une uniformitĂ© et une certaine structure Ă  mes intervenants qui n’ont pas tout le temps la mĂȘme formation. En mĂȘme temps, les aidants apprĂ©cient beaucoup les programmes, surtout le programme Gestion du stress. C’est celui que nous avons le plus animĂ© et ceux qui y ont participĂ© disent que ça a changĂ© leur vie du tout au tout, car c’est trĂšs centrĂ© sur leurs besoins personnels. Ils ne voient pas tout le temps le global d’une situation. Un peu comme l’expression l’élĂ©phant ça se mange, si on le coupe en tranches. C’est un peu la mĂȘme idĂ©e. Quand on les rencontre, ça permet de focaliser sur ce qu’on a Ă  faire et d’avoir un plan en commençant Ă  travailler sur un stresseur en particulier. Quand le proche a travaillĂ© sur un stresseur, il est ensuite capable de l’appliquer ailleurs dans d’autres sphĂšres de sa vie».

Nous remercions JosĂ©e GĂ©linas pour cette belle dĂ©couverte et lui souhaitons bonne chance dans la rĂ©ussite de l’Association des personnes aidantes de la VallĂ©e-de-la-Batiscan!

Plus d’informations
Pour plus d’information sur l’Association des Personnes Aidantes de la VallĂ©e-de-la-Batiscan, dĂ©couvrez leur site internet ici : http://www.aidantsvalleebatiscan.org/

Texte par Fanny Vadnais et Nicolas Pinget

Propos recueillis par Nicolas Pinget

Michel Cossette et la dimension analytique des ressources humaines

Michel Cossette et la dimension analytique des ressources humainesMichel Cossette est professeur agrégé au département de la gestion des ressources humaines. Il est également chercheur au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO)

Expertises

Travail émotionnel, rétention du personnel, performance de service, santé psychologique et attitudes au travail.

À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec vos recherches?

Michel Cossette : Je m’intĂ©resse Ă  ce que l’on appelle l’analytique RH. En rĂ©sumĂ©, j’analyse comment les professionnels RH Ă©laborent des indicateurs de performance et des tableaux de bord et j’examine les processus d’analyse des rĂ©sultats, notamment en termes d’efficience, d’efficacitĂ© et d’impact des activitĂ©s de ressources humaines sur la performance organisationnelle. Au niveau de la recherche scientifique, j’examine l’influence des pratiques RH et des caractĂ©ristiques individuelles sur la mobilisation des compĂ©tences relationnelles. Les caractĂ©ristiques individuelles sont des traits psychologiques, donc des façons d’ĂȘtre, propres Ă  chaque personne, qui influence leur comportement avec les clients, mais aussi leur propre santĂ© psychologique. J’étudie la maniĂšre dont ces compĂ©tences impactent la performance durable. Cette performance durable se caractĂ©rise par un meilleur service Ă  la clientĂšle et une meilleure santĂ© psychologique des employĂ©s au travail. L’employĂ© est-il bien et heureux dans son travail ? J’analyse certains indicateurs comme la satisfaction, l’engagement et le niveau d’épuisement pour comprendre comment la gestion des ressources humaines peut contribuer Ă  cette performance durable.

Les Ă©lĂ©ments mobilisateurs et les objectifs de performance varient selon l’organisation. La richesse de ce type de recherche vient d’un regard systĂ©mique sur les Ă©lĂ©ments susceptibles de susciter la mobilisation des compĂ©tences ainsi que ceux qui peuvent y nuire. L’analyse se base sur deux avis; celui de l’employĂ© et de l’employeur. Le but est d’assurer l’objectivitĂ© des rĂ©sultats et relever une vĂ©ritable corrĂ©lation entre les compĂ©tences et la performance.

Quels sont les défis dans votre champ de recherche?

Michel Cossette : Le plus grand dĂ©fi est de trouver des entreprises qui dĂ©sirent participer Ă  l’analyse. Ce type de recherche requiert beaucoup de ressources en matiĂšre de temps et de participants. L’analyse se fait en deux temps et nĂ©cessite environ une centaine d’employĂ©s d’une mĂȘme entreprise. Ces deux critĂšres peuvent reprĂ©senter une contrainte importante pour certaines organisations. Il peut d’autre part s’avĂ©rer complexe de trouver des personnes dĂ©sirant rĂ©pondre Ă  des questions en matiĂšre d’antĂ©cĂ©dents, autant organisationnels qu’individuels. Évaluer les compĂ©tences, les attitudes, la santĂ© et la performance requiert beaucoup de mesures.

Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ© Ă  ce sujet?

Michel Cossette : Mes Ă©tudes en ressources humaines et en psychologie teintent mes recherches. Mon penchant pour les ressources humaines se dĂ©note par mon intĂ©rĂȘt pour la performance organisationnelle. Mon attrait pour la psychologie se vĂ©hicule dans mes Ă©tudes sur la santĂ© psychologique au travail.

Dans une sociĂ©tĂ© de service, la diffĂ©renciation des entreprises passe par le service Ă  la clientĂšle. Si l’on observe un souci marquĂ© pour la performance, l’on observe Ă©galement un important taux de roulement dans les entreprises de service. En effet, rationnellement, on recherche la performance et celle-ci peut ĂȘtre atteinte sans se soucier de la santĂ© psychologique de ses employĂ©s. Je m’intĂ©resse cependant Ă  faire le pont entre la santĂ© psychologique et la performance et Ă  faire prendre conscience aux gestionnaires que les deux doivent aller ensemble.

Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Michel Cossette : Certaines pistes de recherches mĂ©riteraient d’ĂȘtre plus approfondies. Par exemple, l’impact de la qualitĂ© du climat de travail entre les activitĂ©s de ressources humaines effectuĂ©es par les organisations, que ce soit par les superviseurs ou les professionnels de ressources humaines, sur la mobilisation des compĂ©tences pourrait ĂȘtre mieux documentĂ©. Dit simplement, les Ă©tudes sur l’interaction entre l’environnement, les pratiques de gestion des ressources humaines et l’individu prĂ©sentent Ă©normĂ©ment de rĂ©sultats contradictoires. À mon avis, davantage de temps pourrait y ĂȘtre accordĂ©.

Texte par Fanny Vadnais
Propos recueillis par FĂ©lix Vaillancourt

Louis Jacques Filion sur l’entrepreneuriat

Louis Jacques Filion sur l’entrepreneuriatLouis Jacques Filion est professeur honoraire au DĂ©partement d’entrepreneuriat et innovation Ă  HEC MontrĂ©al. Il a Ă©tĂ© pendant plus de 20 ans titulaire de la Chaire d’entrepreneuriat Roger-J.-A.-Bombardier Ă  cette institution

Expertises

Entrepreneuriat, intrapreneuriat, crĂ©ation d’entreprise & innovation.

À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec vos recherches?

Louis Jacques Filion : Actuellement, de nombreuses entreprises quĂ©bĂ©coises font partie du 6% des entreprises des pays de l’OCDE connaissant une croissance. Face Ă  cette progression et Ă  l’implantation du programme sur les gazelles par le gouvernement du QuĂ©bec, plusieurs questionnements sur le dĂ©veloppement et la gestion de la croissance dans les organisations ont Ă©tĂ© suscitĂ©s. La hausse du nombre de pays dotĂ©s de programmes axĂ©s sur la croissance organisationnelle m’a permis de constater les lacunes sur le sujet dans le contenu des cours d’entrepreneuriat. À cet effet, j’ai rĂ©digĂ© des ouvrages comprenant des Ă©tudes de cas et des textes conceptuels afin de mieux former les Ă©tudiants Ă  la croissance en entreprise. Mentionnons, entre autres : Croissance et soutiens Ă  la croissance d’entreprise (2015), La croissance d’entreprise : vision, agilitĂ© et doigtĂ© (2015), Entreprendre et savoir s’entourer (2017).

Par ailleurs, l’innovation occupe de nos jours une place importante au niveau des intĂ©rĂȘts des Ă©tudiants et des organisations. J’ai donc dĂ©veloppĂ© une sĂ©rie de livres sur l’intrapreneuriat, soit la conception ainsi que la mise en Ɠuvre en interne de l’innovation. Mentionnons : Oser intraprendre : ces champions qui font progresser les organisations et les sociĂ©tĂ©s : douze modĂšles exemplaires (2012) ainsi qu’Innover au fĂ©minin/savoir se dĂ©passer (2013), qui prĂ©sente de nombreuses femmes fortement impliquĂ©es dans le processus d’innovation. Ce livre comprend une sĂ©rie de cas et des textes dĂ©taillant les maniĂšres d’initier et de gĂ©rer l’innovation dans les organisations.  Celui sur Intrapreneuriat : s’initier aux pratiques innovantes (2016) rĂ©alisĂ© encore une fois en collaboration avec plusieurs coauteurs dont Mircea-Gabriel Chirita, prĂ©sente des Ă©tudes de cas mais aussi une synthĂšse des recherches sur le sujet.

Mon approche est axĂ©e sur la pratique et l’essentiel de mes recherches s’effectue sur le terrain, par des entretiens avec des entrepreneurs et des intrapreneurs. Le but de mes recherches consiste Ă  structurer de nouveaux cours. Mes livres, composĂ©s d’études de cas, servent Ă  initier les Ă©tudiants Ă  l’innovation et Ă  l’entrepreneuriat, car selon moi, rien n’est plus puissant Ă  l’apprentissage que l’utilisation d’exemples. Ces Ă©tudes de cas sont construites en tenant compte de l’état des connaissances sur les sujets concernĂ©s.

Mon prochain livre qui sera lancĂ© en septembre 2017 aborde la relation entre les crĂ©ateurs et les entrepreneurs dans le processus d’innovation dans les industries culturelles et crĂ©atives: Artistes, crĂ©ateurs et entrepreneurs (2017).

Quels sont les défis dans votre champ de recherche?

Louis Jacques Filion : De nos jours, l’intĂ©rĂȘt grandissant pour l’innovation et l’entrepreneuriat mĂšne Ă  une progression rapide du nombre d’outils disponibles sur le sujet. Le dĂ©fi est d’intĂ©grer les rĂ©sultats de recherches dans les programmes scolaires. Les milieux de travail Ă©voluent de plus en plus rapidement, en particulier les milieux pĂ©emmistes, et il importe que l’enseignement suive la cadence.

Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ© Ă  ce sujet ?

Louis Jacques Filion : Ayant grandi dans une famille possĂ©dant plusieurs PME, j’ai toujours dĂ©sirĂ© devenir entrepreneur et travailler dans le monde des affaires. À l’époque, aucun programme d’entrepreneuriat n’existait, mais au dĂ©but des annĂ©es 1980, j’ai participĂ© Ă  l’introduction du premier programme en entrepreneuriat au QuĂ©bec et au Canada Ă  l’UniversitĂ© du QuĂ©bec Ă  Trois-RiviĂšres (UQTR). J’Ɠuvre dans le domaine depuis maintenant prĂšs de 40 ans. J’ai Ă  mon actif de nombreux livres et j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec une multitude d’entrepreneurs chevronnĂ©s tels que Paul Fireman qui a fait de Reebok une multinationale, Jean Coutu, RĂ©mi Marcoux  (Transcontinental), Alain Bouchard (Alimentation Couche-Tard), Luc Maurice, Lise Watier et de nombreux autres. J’ai rĂ©alisĂ© plus de 1 000 entrevues avec des entrepreneurs rĂ©partis sur les cinq continents et produit plus de 200 Ă©tudes de cas.

Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Louis Jacques Filion : En entrepreneuriat, on doit rĂ©flĂ©chir Ă  ce que l’on veut devenir et Ă  ce qu’on compte faire pour pouvoir s’y rendre graduellement. Il faut y aller petit Ă  petit.

L’enseignement traditionnel reflĂšte souvent une certaine culture de conformitĂ©. En entrepreneuriat, il faut promouvoir l’initiative. L’entrepreneur est une personne qui passe beaucoup de temps Ă  dĂ©finir ex nihilo. Pour l’étudiant, il ne s’agit pas que d’assimiler des savoirs. Il importe d’apprendre Ă  rĂ©flĂ©chir sur des savoirs ĂȘtre, des savoirs devenir, des savoirs dĂ©finir, des savoirs passer Ă  l’action et des savoirs faire.

L’entrepreneuriat peut s’enseigner de nombreuses façons. Je privilĂ©gie un mĂ©lange d’approches pĂ©dagogiques qui comprend des Ă©tudes de cas, des travaux rĂ©flexifs et des exercices interactifs. L’interaction entre l’enseignant et l’étudiant est essentielle, car elle permet de sortir l’étudiant de la passivitĂ© dans le processus apprenant.  Le mĂ©dium est le message a Ă©crit Marshall McLuhan.  Lors de l’apprentissage de l’entreprenariat, les exemples ainsi que les modĂšles d’entrepreneurs sont inspirants. Bon nombre de cours d’entrepreneuriat Ă  HEC MontrĂ©al misent sur le contact en classe entre l’étudiant et l’entrepreneur. L’entrepreneuriat est Ă  la fois un phĂ©nomĂšne individuel et collectif, d’oĂč l’importance du mentorat. En effet, 80% des entreprises nord-amĂ©ricaines sont fondĂ©es par des Ă©quipes. Les entrepreneurs se distinguent par leur crĂ©ativitĂ© et leur capacitĂ© Ă  bien s’utiliser ainsi qu’à bien utiliser des ressources prĂ©sentes dans leur Ă©cosystĂšme. Le mentor joue un rĂŽle crucial, car son expĂ©rience permet de baliser cette crĂ©ativitĂ©.

L’entrepreneuriat, c’est la prise de conscience de soi suivie de l’échange avec les autres.  Au cours de cet apprentissage, il faut viser la mise en valeur de ses propres diffĂ©rences et apprendre Ă  savoir les exprimer.

Louis Jacques Filion chez eValorix

Texte par Fanny Vadnais
Propos recueillis par FĂ©lix Vaillancourt

Louise Lévesque et les soins à la personne ùgée et à la famille

louise levesquesLouise LĂ©vesque est chercheure au Centre de recherche de l’Institut Universitaire de GĂ©riatrie de MontrĂ©al. Elle est Ă©galement professeure Ă©mĂ©rite Ă  la facultĂ© des sciences infirmiĂšres de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al. Elle fut la premiĂšre titulaire de la Chaire de recherche en soins infirmiers Ă  la personne ĂągĂ©e et Ă  la famille, maintenant la Chaire Desjardins.

Expertise

Pratiques professionnelles d’intĂ©gration des services en gĂ©rontologie.

À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec vos recherches?

Louise LĂ©vesque : J’ai commencĂ© Ă  travailler en soins infirmiers dans les annĂ©es 1980, plus spĂ©cifiquement en gĂ©riatrie et en gĂ©rontologie. Au QuĂ©bec, l’on prĂ©voyait dĂ©jĂ  le vieillissement de la population, mais les recherches Ă©taient trĂšs peu avancĂ©es sur le sujet.

Mes premiĂšres recherches ont portĂ© sur l’implantation d’un modĂšle pour amĂ©liorer les soins infirmiers en milieu institutionnel (en CHSLD). Il fallait  évaluer ce modĂšle, mais nous n’avions, Ă  l’époque, que trĂšs peu d’outils correspondant Ă  notre culture. J’ai donc dĂ©veloppĂ© trois instruments de mesure permettant d’évaluer les effets de l’implantation de ce modĂšle. Mes outils Ă©taient dĂ©veloppĂ©s autour de l’évaluation de l’autonomie dans les activitĂ©s quotidiennes, de l’échelle de morale et du fonctionnement social des rĂ©sidents en milieu institutionnel. C’est un modĂšle holistique, qui prend surtout en considĂ©ration les besoins psychologiques des patients en milieu institutionnel. Bien que la situation se soit amĂ©liorĂ©e, les CHSLD Ă©taient des milieux assez difficiles au milieu des annĂ©es 1980. En plus des maladies chroniques, Ă©normĂ©ment de facteurs avaient et ont toujours un impact important sur le plan psychologique et Ă©motionnel. Les malades en CHSLD souffrent de maladies chroniques et leur condition est Ă  toute fin contrĂŽlĂ©e. Dans un milieu institutionnel, les infirmiers ont un rĂŽle de soutien auprĂšs des patients, mais ont Ă©galement un rĂŽle clĂ© de soutien auprĂšs des familles et des proches aidants. Le cĂŽtĂ© psychologique a une place prĂ©pondĂ©rante dans la prestation de soins de santĂ© en CHSLD.

Ensuite, j’ai dirigĂ© mes travaux de recherche vers le soutien offert aux proches aidants. Nous avons analysĂ© leur Ă©tat de santĂ© et les facteurs faisant en sorte qu’ils deviennent vulnĂ©rables. Nous avons ensuite Ă©tudiĂ© les facteurs sur lesquels les infirmiers peuvent intervenir. Ces aidants ont besoin de soutien psychologique et de mise Ă  niveau en matiĂšre de compĂ©tences. J’ai donc par la suite dĂ©veloppĂ© un programme de groupe de 15 semaines « Apprendre Ă  ĂȘtre mieux
 et Ă  mieux aider » qui s’adresse aux proches aidants de personnes atteintes d’Alzheimer. C’était une Ă©tude d’envergure, rĂ©alisĂ©e par de nombreux chercheurs de plusieurs universitĂ©s quĂ©bĂ©coises. Les rĂ©sultats Ă©taient assez intĂ©ressants et ils ont par la suite fait l’objet de publications.

À ma retraite, j’ai travaillĂ© avec Francine Ducharme sur ses diffĂ©rents programmes et j’ai ensuite mis sur pied la chaire de recherche en soins infirmiers aujourd’hui appelĂ©e la chaire Desjardins.

Quels sont les défis dans votre champ de recherche?

Louise LĂ©vesque : Trouver les sujets de recherches, constituer un Ă©chantillonnage et financer les projets peuvent ĂȘtre assez complexe, mais le rĂ©el dĂ©fi est d’incorporer les rĂ©sultats de recherches dans les milieux. Le but de ces recherches est de faire en sorte que les pratiques infirmiĂšres s’appuient sur des donnĂ©es probantes  afin d’amĂ©liorer les soins offerts. Il est primordial de trouver des moyens pour amener les milieux Ă  prendre part aux programmes. Tous nos outils sont d’ailleurs mis Ă  la disposition des CHSLD, mais on observe tout de mĂȘme que le soutien aux familles aidantes se fait rare. Il y a encore beaucoup de progrĂšs Ă  faire.

Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Louise LĂ©vesque : Je pense qu’il faudrait favoriser la recherche sur les soins de santĂ© en eux-mĂȘmes. Il y a un rĂ©el besoin en dĂ©veloppement de connaissances, surtout au sujet des soins Ă  offrir aux rĂ©sidents ayant des problĂšmes de santĂ© complexes, comme des problĂšmes de comportement. Je pense notamment aux cris et Ă  l’errance chez les personnes Alzheimer.

Louise LĂ©vesque chez eValorix

Texte par Fanny Vadnais
Propos recueillis par FĂ©lix Vaillancourt

Yves Couturier sur l’adaptation du systĂšme de santĂ© face au vieillissement de population

Yves Couturier sur l’adaptation du systĂšme de santĂ© face au vieillissement de populationYves Couturier est professeur Ă  l’École de travail social de l’UniversitĂ© de Sherbrooke. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les pratiques professionnelles d’intĂ©gration de services en gĂ©rontologie et a un doctorat en sciences humaines appliquĂ©es de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al

Expertise

Pratiques professionnelles d’intĂ©gration des services en gĂ©rontologie

À quel besoin souhaitez-vous rĂ©pondre avec vos recherches?

Yves Couturier : Le Canada connaĂźt une Ă©volution dĂ©mographique trĂšs importante, la sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise est actuellement l’une des plus sujettes au vieillissement de population. Ce changement dĂ©mographique requiert une rĂ©vision des mĂ©thodes de prestation des services de santĂ©s et de services sociaux. Ces services Ă©taient autrefois destinĂ©s Ă  une population, qui lorsque malade, mourrait subitement. Aujourd’hui, la rĂ©alitĂ© changeante se dĂ©finit par une population qui souffre et dĂ©cĂšde majoritairement de maladies chroniques.  Ma mission est de dĂ©velopper de bonnes maniĂšres pour mieux organiser les services, dans un contexte d’émergence de maladies chroniques. Il s’agit d’amĂ©liorer les façons de travailler avec des personnes ĂągĂ©es demeurant Ă  domicile. Le but est d’éviter, autant que possible, les CHSLD et les hĂŽpitaux. Ces structures sont coĂ»teuses et peuvent s’avĂ©rer dangereuses pour les aĂźnĂ©s. Une personne ĂągĂ©e en CHSLD, alitĂ©e, est moins active qu’à domicile. Elle n’est pas mobilisĂ©e quotidiennement et cours le risque de dĂ©velopper des maladies nosocomiales, soit des maladies contractĂ©es dans un Ă©tablissement de santĂ©. Il n’est pas rare que le systĂšme de santĂ© actuel contribue involontairement Ă  la perte d’autonomie. Il arrive qu’une personne continente Ă  son entrĂ©e en CHSLD devienne incontinente au bout de quelques mois. Le travail des employĂ©s n’est pas Ă  blĂąmer, c’est plutĂŽt signe que la rĂ©ponse aux besoins offerte en Ă©tablissement de santĂ© n’est pas la mieux adaptĂ©e.

J’Ɠuvre actuellement en France Ă  la formation de gestionnaires de cas. Ces professionnels coordonnent les services dĂ©diĂ©s aux personnes ayant des problĂšmes de santĂ© complexes. Cette coordination requiert une Ă©troite collaboration entre les infirmiĂšres, l’aide sociale, les mĂ©decins, mais aussi les proches aidants. Je travaille Ă  suivre l’implantation de cette coordination en France et au QuĂ©bec. Par ailleurs, je m’adonne Ă  la documentation de la mise en Ɠuvre d’un plan gouvernemental pour les maladies de type Alzheimer. Pour en retirer des leçons, je suis les rĂ©percussions de ce plan implantĂ© depuis prĂšs de 2 ans et demi dans 19 projets pilotes au QuĂ©bec. Faute de dĂ©tenir une rĂ©elle solution curative Ă  la maladie d’Alzheimer, le plan a pour mission de prendre en charge, avec le malade et ses proches, l’ensemble des effets de la maladie sur sa vie quotidienne. Ce plan Alzheimer est par ailleurs sur le point d’ĂȘtre Ă©tendu dans le rĂ©seau de la santĂ©.

Quels sont les défis dans votre champ de recherche?

Yves Couturier : Le plus grand dĂ©fi est la lenteur de l’évolution du systĂšme de santĂ©. La rĂ©sistance et le manque de proactivitĂ© de L’État ralentit le passage de l’idĂ©e prometteuse Ă  la pratique concrĂšte. Le manque de moyens, de formation et d’accompagnement mine le changement.

Comment vous ĂȘtes-vous intĂ©ressĂ© Ă  ce sujet?

Yves Couturier : Ma thĂšse de doctorat m’a permis d’ĂȘtre exposĂ© Ă  des pratiques de professionnels de la santĂ© travaillant dans le contexte du vieillissement. Bien qu’intĂ©ressantes, ces pratiques Ă©taient mal documentĂ©es, car la plupart des jeunes chercheurs s’intĂ©ressent peu au vieillissement. Je m’y suis alors attardĂ©.

Que diriez-vous Ă  quelqu’un qui dĂ©bute dans votre domaine?

Yves Couturier : Il est aisĂ© de prĂ©dire de bonnes perspectives d’emplois, car les besoins sont lĂ . Les annĂ©es Ă  venir prĂ©disent des besoins grandissants impliquant que plus de la moitiĂ© des jeunes professionnels de la santĂ© travailleront pour cette clientĂšle vieillissante. D’autre part, cette clientĂšle complexe offre des dĂ©fis cliniques plus importants et reprĂ©sente de vrais dĂ©fis scientifiques et professionnels. Les problĂšmes sont complexes, car ils relĂšvent souvent de plusieurs conditions qui interagissent. Cette complexitĂ© et cette multiplicitĂ© des dimensions, selon moi, devraient ĂȘtre source d’intĂ©ressement pour de futurs professionnels de la santĂ©.

Yves Couturier chez eValorix

Texte par Fanny Vadnais
Propos recueillis par FĂ©lix Vaillancourt