Marc-Antonin Hennebert, les relations de travail et le syndicalisme
Marc-Antonin Hennebert est professeur agrégé au Département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal. Il est également membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT)
Expertises
Relations de travail, syndicalisme, négociation collective, firmes multinationales et responsabilité sociale.
À quel besoin souhaitez-vous répondre avec votre recherche?
Marc-Antonin Hennebert : Mon domaine de recherche est celui des relations de travail et du syndicalisme. À HEC, il fait partie de la sphère plus large de la gestion des ressources humaines (GRH). À ce titre, deux projets de recherche concernant le monde syndical m’ont plus particulièrement occupé au cours des dernières années.
Le premier, de nature plus internationale, concerne la montée en nombre et en puissance des entreprises multinationales et l’implication de ce phénomène sur la régulation du travail. La question au cœur de ce projet est de savoir comment les travailleurs et leurs représentants peuvent s’assurer du respect des droits sociaux fondamentaux des employés au sein des multinationales, mais aussi au sein de leurs réseaux de sous-traitants et de leurs chaînes de valeur? À cet égard, certaines organisations syndicales ont innové au cours des dernières années en développant de nouvelles pratiques de concertation intersyndicale au plan international et en construisant des coalitions et des alliances plus ou moins formelles selon les cas. Ces alliances regroupent généralement des syndicats qui représentent les travailleurs d’une même multinationale dans ses différents établissements à travers le monde et cherche d’ordinaire à ouvrir un dialogue avec la direction de ces entreprises pour assurer un meilleur respect des droits des travailleurs notamment dans les pays où les structures institutionnelles en matière de travail sont déficientes. Ce thème de recherche se veut très proche de celui de la responsabilité sociale des entreprises, mais vu sous l’angle syndical.
Dans un contexte de transformations des milieux de travail, mon deuxième projet de recherche s’intéresse à la réalité des représentants syndicaux au sein des entreprises et à la problématique du renouvellement du leadership de ces représentants. En effet, la complexification observée du travail de ces représentants, et notamment des présidents de syndicats locaux auquel ce projet s’intéresse de manière particulière, les placent aujourd’hui devant de nombreux défis et soulève des questions quant aux meilleures pratiques en matière de représentation syndicale. Ce projet de recherche vise un objectif fondamental, soit celui d’identifier, selon notamment certains contextes sectoriels déterminés, comment les représentants syndicaux composent avec de tels défis et comment certains parviennent à devenir des acteurs stratégiques à la fois au sein de leur syndicat et de leur entreprise.
Quels sont les principaux défis dans votre champ de recherche?
Marc-Antonin Hennebert : Les organisations syndicales avec lesquelles je travaille depuis plusieurs années sont confrontées à de multiples défis provenant à la fois de leur environnement externe et interne. Dans le premier cas, je pense notamment à la mondialisation, aux recompositions sectorielles (les emplois se développent aujourd’hui surtout dans des secteurs moins syndiqués), aux besoins nouveaux des employeurs (réductions de coûts, flexibilité dans l’organisation et les conditions de travail), etc. Concernant l’environnement interne, les membres des syndicats ont également des besoins nouveaux notamment en matière de conciliation travail-famille et leurs intérêts sont plus diversifiés qu’auparavant. Les organisations syndicales, comme les entreprises, sont donc aujourd’hui condamnées à revoir leurs pratiques pour s’ajuster à leur nouvel environnement.
En outre, dans un contexte où les ressources humaines se positionnent de plus en plus comme une source d’avantage compétitif, les relations de travail peuvent venir jouer un rôle plus important dans la définition de la compétitivité des entreprises. Cela place les acteurs syndicaux dans une position où ils peuvent potentiellement jouer un rôle de partenaire stratégique au sein de leur organisation. Dans ce contexte, je me pose certaines questions de portée générale : Quelle est l’état actuel des relations de travail dans nos entreprises au Québec? Quelles sont les défis inhérents à une saine gestion des relations de travail? Quelles sont les meilleures pratiques relativement à l’implication des syndicats au sein des processus de changement des entreprises ?
Au fil de nos recherches, nous avons toujours eu un accueil très positif des entreprises et des organisations syndicales impliquées dans nos projets. Nous cherchons aussi à avoir des conclusions pratiques qui peuvent offrir autant d’outils réflexifs à nos partenaires de recherche et les guider dans leurs pratiques.
Comment vous êtes-vous intéressé à ce sujet?
Marc-Antonin Hennebert : Alors que j’étais étudiant en gestion, je me suis rendu compte qu’on étudiait beaucoup les organisations du point de vue de ses dirigeants et de ses principales sphères de pouvoir. Toutefois l’entreprise est un lieu pluriel où s’entremêlent intérêts et groupes divers. Évidemment, il est fondamental d’étudier la réalité des gestionnaires pour comprendre les organisations, mais je trouvais néanmoins qu’on ne s’intéressait pas assez aux formes de contre-pouvoirs au sein des organisations dans lesquels les syndicats jouent un rôle assez important. Mes premières recherches m’ont démontré que, parfois dans une même entreprise, les dirigeants et gestionnaires, d’une part, et les représentants syndicaux et les travailleurs, d’autre part, ont parfois une vision très différente de leur réalité organisationnelle.
L’étude des relations de travail et du syndicalisme est donc pour moi une manière importante de contribuer à la compréhension de nos univers organisationnels. Elles permettent notamment d’exposer le point de vue des travailleurs et de leurs représentants, soit un peu l’envers de la médaille.
Que diriez-vous à quelqu’un qui débute dans votre domaine?
Marc-Antonin Hennebert : J’ai récemment écrit un texte dans la revue de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec (ORHRI) qui témoigne un peu de ma vision des relations de travail en entreprise et des conseils que je donnerais aux gestionnaires dans ce domaine (pour consulter le texte intégral en étant membre de l’Ordre suivre ce lien HENNEBERT, Marc-Antonin. 2014. « Entre les méandres de la conflictualité et l’idéal collaboratif : gérer ses relations de travail de manière réaliste ! ». Effectif, revue de l’Ordre professionnel des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec, vol. 17, no. 2, p. 14-19. )
Il est tout d’abord important de reconnaître la pluralité des intérêts dans les organisations. La formation des étudiants au sein des écoles de gestion peut parfois donner une vision unitaire des organisations masquant les intérêts potentiellement différents de certains groupes. Comprendre la diversité des intérêts au sein des organisations est pour moi fondamental!
Il me semble également important pour tout gestionnaire RH de saisir la responsabilité et les contraintes des représentants syndicaux et pallier au manque de connaissances des autres gestionnaires en cette matière. Les relations de travail sont encadrées par un régime juridique (notamment le code du travail) qui crée des obligations de toutes sortes dont celle pour les représentants syndicaux de s’assurer de défendre leurs membres de manière juste et équitable. La réalité est la même du côté des gestionnaires : il existe une obligation de négocier de bonne foi le renouvellement des conventions collectives, de reconnaître et de ne pas entraver les activités syndicales, de respecter la procédure de grief, etc. Il est donc impératif de connaitre ses responsabilités et ses obligations légales.
Il faut aussi accepter, comme gestionnaire RH, les désaccords potentiels avec les syndicats et même l’impossibilité de s’entendre sur certains enjeux, tout en cherchant à minimiser les impacts à long terme sur les relations patronales-syndicales. Fonctionner par consensus est un idéal qui n’est pas toujours à l’épreuve de la réalité. Le défi pour un gestionnaire en relations de travail n’est pas d’éviter à tout prix les désaccords, mais de chercher à minimiser leurs effets sur les relations entre les parties à plus long terme.
Finalement, il ne faut pas avoir peur d’innover et de remettre en cause les pratiques dans le domaine des relations de travail. Le monde des relations de travail en est un au demeurant assez conservateur dans la mesure où les pratiques et façons de faire se sont instituées au fil des années (négociations collectives, procédure de grief, etc.) et qu’elles évoluent plus lentement que dans d’autres domaines. Il ne faut pas avoir peur d’innover, de remettre en cause certaines pratiques. À titre d’exemple, on observe aujourd’hui dans certaines entreprises le désir d’établir une culture du dialogue plus soutenue entre les parties par l’intermédiaire de la création de comités de négociation continue visant à faire évoluer les conditions de travail entre les périodes plus formelles de renouvellement de la convention collective. Des syndicats jouent aussi un rôle plus important dans les sphères décisionnelles des entreprises ce qui apparaît comme une avenue intéressante, même si elle représente un défi important pour les parties, pour le renouvellement de nos relations de travail.
Marc-Antonin Hennebert chez eValorix
Propos recueillis par Félix Vaillancourt.