Bernard-Simon Leclerc et Joey Jacob : l’évaluation des pratiques et des relations
Bernard-Simon Leclerc est chercheur d’établissement et responsable de l’unité d’évaluation du Centre de recherche et de partage des savoirs InterActions, du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal. Il est également professeur adjoint de clinique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.
Expertises : Épidémiologie sociale, déterminants sociaux, inégalités sociales de santé, enjeux sociaux des services de santé et des services sociaux, évaluation des pratiques, des programmes et des interventions participatives et intersectorielles en général.
Joey Jacob est professionnel de recherche à l’Unité d’évaluation du Centre de recherche et de partage des savoirs InterActions du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal.
Expertises : Évaluation des pratiques, des programmes et des interventions participatives et intersectorielles, analyse de réseaux, déterminants sociaux, inégalités sociales de santé, enjeux sociaux des services de santé et des services sociaux,
À quel besoin souhaitez-vous répondre avec vos recherches?
Bernard-Simon Leclerc : Le centre de recherche et de partage des savoirs InterActions a une thématique qui traite de l’articulation des réseaux personnels, communautaires et publics face aux problèmes complexes. Nous pourrions dire que quelques éléments que nous touchons au centre sont les activités de recherche appliquée dans le domaine du social, l’enseignement, la formation, la mobilisation des connaissances scientifiques et pratiques ainsi que l’évaluation des programmes et des modes d’intervention. Dès que des personnes interagissent ensemble pour résoudre des problèmes, que ce soit des réseaux familiaux ou des réseaux professionnels, cela tombe potentiellement dans notre thématique.
Pour ma part, je suis responsable de l’unité d’évaluation. Nous avons un mandat large qui nous permet d’arrimer les préoccupations du milieu scientifique, celles des milieux de pratique et des autres acteurs du territoire du réseau local de services. Les intérêts d’étude de l’unité peuvent porter par exemple sur l’évaluation des services curatifs, des interventions sociales ou des interventions de santé publique. Nous proposons d’évaluer par exemple les besoins, l’implantation de projets, l’utilisation d’outils ainsi que les effets des interventions ou les pratiques cliniques.
Il est important de comprendre la distinction entre la recherche évaluative et l’évaluation de programmes. En recherche traditionnelle, la préoccupation est de générer de la connaissance pour la communauté scientifique. Dans l’évaluation de programme, les projets répondent plus particulièrement aux besoins de partenaires sur le terrain, c’est du sur-mesure en fonction du problème posé par les acteurs locaux.
Joey Jacob : Par exemple, l’outil « Incitatifs et obstacles à la supervision de stage » disponible sur le site d’eValorix répondait aux besoins de l’ensemble des organisations de soins de santé et de services sociaux de l’île de Montréal. Elles ont fait appel à nos services pour documenter les raisons pour lesquelles il était si difficile de recruter des superviseurs de stage et cela, dans plus d’une vingtaine de professions différentes. Notre projet a permis d’établir des recommandations et de développer différents outils afin d’augmenter le nombre de professionnels qui acceptent de superviser des stages.
Bernard-Simon Leclerc : Nous avons plusieurs projets qui ont gravité autour de cette problématique et nous avons reçu beaucoup de réponses positives des établissements de santé et des universités qui utilisent nos outils. Une forme d’accréditation « Formateur de choix » est même en voit d’être élaborée par le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal afin de créer des conditions favorables à la supervision de stage. Ces travaux se basent sur nos outils. C’est une très belle forme de valorisation de la recherche!
Quels sont les défis dans votre champ de recherche?
Joey Jacob : Nous devons nous assurer que les projets d’évaluation que nous réalisons seront pertinents pour les personnes qui les réclament. Notre objectif est d’aider à améliorer leur pratique. Considérant que souvent nos projets ont différents acteurs aux intérêts variés, nous entreprenons tous nos projets avec l’idée que tout le monde en sorte gagnant. C’est un beau défi que de conjuguer l’ensemble des exigences de nos clients!
Bernard-Simon Leclerc : L’un des défis les plus importants est de mobiliser les milieux à participer aux évaluations. La participation n’est pas acquise d’emblée. C’est pourquoi on essaie d’impliquer les participants, de faire de l’empowerment et de leur montrer les avantages de l’évaluation. Nous cherchons à faire des projets axés sur le concret et non pas des projets vagues ou trop ambitieux. On est peut-être un peu à contre-courant de la tendance générale dans le réseau de la santé; nos types d’évaluations répondent moins à des besoins managériaux de haut niveau qu’à des besoins très proches du terrain. On donne une voix à des intervenants qui travaillent plus près de la base, afin de documenter leurs pratiques, de tenter d’y donner une impulsion, de faire connaître leur situation, et de légitimiser leurs activités.
On fait la promotion d’une approche participative des parties prenantes. Nous les impliquons dans le projet afin de le construire ensemble. On aide au développement des pratiques et à l’animation de communautés. Par exemple, à l’IUGM une formation de formateurs en soins palliatifs en soins prolongés a été développée. Deux infirmières de CHSLD qui ont suivi la formation ont souhaité l’implanter dans les milieux. Elles sont venues nous voir et nous avons documenté et évalué le projet-pilote afin de valider la crédibilité de cette initiative.
« Nous privilégions l’exercice de l’évaluation dans un but de développement des connaissances, de soutien à la prise de décision, de promotion du débat démocratique ainsi que d’amélioration des pratiques, plutôt que de répondre à des impératifs essentiellement administratifs […]. Nous attirons l’attention sur une portée avouée de l’évaluation, à savoir sa contribution à l’amélioration des conditions sociales et collectives ou, autrement dit, d’empowerment des individus et des communautés. » Extrait du cadre de référence en évaluation de l’unité d’évaluation d’InterActions
Comment vous êtes-vous intéressé à ce sujet?
Bernard-Simon Leclerc : Je viens du milieu de la santé publique, toute ma carrière de chercheur s’y est déroulée. Les approches participatives, j’en ai toujours fait la promotion. J’ai été recruté comme chercheur pour créer une unité d’évaluation au centre InterActions. Les dirigeants partageaient ma philosophie, ils étaient sensibilisés et ouverts à cette forme d’évaluation.
Joey Jacob : Je suis un sociologue de formation. Ce que j’apprécie vraiment de l’unité d’évaluation, c’est notre capacité à répondre aux besoins des partenaires de tous les milieux. Nous pouvons voir leur engouement se développer pour l’évaluation au fur et à mesure que nos projets se concrétisent. L’impact est tellement important pour les acteurs que nous en tirons beaucoup de satisfaction!
Bernard-Simon Leclerc : Quand on fait des travaux de recherche sur plusieurs années, de longue haleine, la gratification est plus longue à venir. Quand on fait des projets d’évaluation avec les acteurs du milieu, on génère de l’information qui est utile plus rapidement.
Que diriez-vous à quelqu’un qui débute dans votre domaine?
Joey Jacob : Une des particularités de la recherche dans le domaine social est la difficulté à trouver du financement. Il y a toutefois de très beaux projets pour lesquels il vaut la peine d’y mettre l’effort.
Bernard-Simon Leclerc : Il y a beaucoup d’étudiants au baccalauréat qui ont une conception de la recherche comme étant du travail de laboratoire avec peu de contacts humains. Quand ils découvrent le travail que l’ont fait, ça change leur perspective sur la recherche et l’évaluation en général!
Il faut être tenace et tenir à nos valeurs comme évaluateur, la pression peut parfois être forte de faire une évaluation complaisante. Il faut aussi lutter pour mettre de l’avant le rôle de l’évaluation qui est trop souvent perçu comme un luxe. Le luxe, croyez-moi, c’est de ne pas faire une évaluation!
Bernard-Simon Leclerc chez eValorix
Propos recueillis par Félix Vaillancourt.