Lucie Richard et les pratiques professionnelles en santé publique
Lucie Richard, Ph.D. est professeure titulaire à la Faculté des sciences infirmières et directrice de l’Institut de Recherche en Santé Publique de l’Université de Montréal (IRSPUM) où elle détient également un poste de chercheure régulière.
Expertises
Prévention de la santé, promotion de la santé, approche écologique en santé publique, analyse étiologique, évaluation d’interventions spécifiques.
À quel besoin souhaitez-vous répondre avec votre recherche?
Lucie Richard : Je tente d’aider les praticiens à renouveler leurs pratiques et aider les chercheurs qui font de la recherche sur le renouvellement des pratiques. Il y a beaucoup de mouvement en santé publique depuis une trentaine d’années : des nouveaux modèles d’analyse et d’action, des réorganisations successives des services, etc. C’est important de soutenir les praticiens dans ces nombreuses transitions. Par exemple, il n’y a pas si longtemps encore, la santé publique fonctionnait dans une logique très éducative; en éduquant les gens, en leur donnant de l’information sur quoi faire pour améliorer leur santé, on croyait avoir la clé pour les guider vers les changements souhaités en matière de comportements. La santé publique a évolué vers de nouvelles perspectives, vers de nouveaux modèles pour guider la réflexion et l’action. Sans omettre l’action sur les comportements, ces nouveaux outils encouragent les praticiens à développer des interventions qui visent à modifier les environnements dans lesquels les personnes vivent, à agir sur ces déterminants sociaux.
Par exemple pour réduire le tabagisme, on sait maintenant qu’un travail exclusif sur les connaissances, les attitudes et le comportement des individus ne fonctionne pas. Les gains populationnels majeurs dans ce domaine sont survenus suite à des interventions modifiant des déterminants clés du tabagisme : la taxation, l’aménagement d’aires sans fumée, la publicité, etc. Bref, la santé publique et la promotion de la santé mettent de l’avant un travail sur une diversité de déterminants de la santé et pas seulement ceux propres au comportement individuel.
Au fond, quand on s’arrête et qu’on y pense, on comprend que les conditions dans lesquelles les gens vivent sont souvent celles qui les rendent malades.
En remontant à la source, en modifiant ces facteurs on peut faire des gains au niveau de la santé des populations. Si on ne s’attaque pas à ces facteurs, nous restons cantonnés dans une logique où on soigne des gens malades. Il faut continuer à le faire, je ne dis pas qu’il faut fermer les hôpitaux! Mon agenda de recherche est sur la prévention et la promotion de la santé. La promotion c’est mettre en place des conditions qui vont garder les gens en santé.
Un de mes axes de recherche a trait au rôle des praticiens dans le contexte de l’émergence de ces nouvelles pratiques. Dans les organisations locales de santé publique, le discours du nouveau mouvement de santé publique est arrivé il y a plus de 20 ans, mais avant qu’il percole dans les pratiques, ça prend du temps. Les praticiens nous disent manquer d’outils ou de formation pour travailler à modifier les environnements. On vise à mettre sur pied des ateliers et des formations, c’est notamment un des objectifs du guide déposé sur eValorix. À ce stade-ci, il faut mentionner que le guide sert surtout à des fins des recherches. Par exemple, des équipes l’utilisent afin de documenter l’intégration de nouvelles approches au sein des programmes. À plus long terme, notre souhait est que le guide soit utile aux praticiens visant un travail sur les environnements, les déterminants sociaux.
Dans le cadre de mon projet de recherche actuel, je suis en train de mettre sur pied des interventions de développement professionnel destinées aux professionnels des CISSS et CIUSSS afin de les accompagner pour qu’ils puissent améliorer leurs pratiques, travailler sur plusieurs déterminants de la santé et sur l’environnement.
Quels sont les principaux défis dans votre champ de recherche?
Lucie Richard : J’en vois deux. Premièrement, trouver des façons d’appliquer les connaissances dans les milieux de pratiques. Les praticiens sont souvent débordés et les chercheurs pas toujours à même d’offrir des opportunités porteuses en terme de développement professionnel. Il faut trouver les bonnes modalités pour mieux soutenir l’implantation d’approches innovantes, telles celles s’appuyant sur une approche écologique.
Deuxièmement, quand on fait des coupes en santé, c’est souvent la prévention qui écope. C’est ce qui est moins visible.
La prévention quand on a du succès, ça ne fait pas de bruit.
Si on réduit les dommages des accidents routiers – parce que les gens portent leur ceinture, parce que les voitures sont mieux conçues, parce qu’on a travaillé sur les tracés des routes, grâce aux campagnes de prévention de l’alcool au volant – cela réduit l’incidence des accidents, mais ça ne fait pas la manchette.
Quand on coupe dans la prévention, il n’y a personne qui crie.
Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet?
Lucie Richard : Ma formation de base est en psychologie. C’est beaucoup par le biais de la psychologie communautaire, des cours au niveau du baccalauréat qui ouvraient nos horizons sur les questions d’amélioration des conditions de vie. J’ai eu une première expérience de travail dans les milieux de santé communautaire. J’ai trouvé que c’était un bon champ d’application pour les connaissances en psychologie que j’avais acquises. J’ai découvert que c’est un univers fascinant.
Le Canada est un leader au sein du mouvement de la nouvelle santé publique et de la promotion de la santé.
Je suis entrée en santé publique au moment de l’introduction de ce nouveau discours. Ça m’intriguait, je trouvais ça impressionnant, mais je me demandais comment nous allions implanter ça dans la pratique.
Que diriez-vous à quelqu’un qui débute dans votre domaine?
Lucie Richard : C’est un domaine captivant, nous sommes à la croisée de plusieurs disciplines. Par exemple, dans le cas de la sécurité routière, la santé publique collabore avec des ingénieurs, des urbanistes, des psychologues, des communicateurs, etc. Il y a là un champ d’applications formidable quand on travaille sur des problèmes sociaux.
C’est extrêmement stimulant et difficile également. Nous travaillons en interdisciplinarité, il faut apprivoiser le vocabulaire et l’approche de l’autre. Ce qui nous intéresse en santé publique, ça appelle forcément à la collaboration de plusieurs disciplines. Et le potentiel d’impact est immense.
Propos recueillis par Félix Vaillancourt.